Partager

 
 
 
 


Un travail d’émancipation littéraire ou Comment il n’est pas nécessaire de “comprendre”


«L’«atelier polylingue» consiste à réunir régulièrement six à douze personnes de langues différentes parlant au mieux à peine le français, et à parier sur la tentative de “nous entendre”. Avec images, récits, chansons, objets, écritures, pour parler de territoires, paysages, pays – et en reconstruire. Il s’agit de la langue propre, de sa difficulté, de l’étrangèreté dans la langue, de l’identité dans l’étrangèreté etc.

Origine du projet

Trois anecdotes: comment j’ai choisi l’un des “plus grands textes » de Maïakovski (dixit deux “connaisseurs”) dans une édition russe sans “comprendre” ce que je choisissais; comment, durant trois jours, j’ai appris le gaélique d’une jeune irlandaise via un anglais que je comprenais à peine; comment j’ai tenté d’indiquer son chemin à une femme chinoise qui, pour éclairer sa demande, me l’a écrite en chinois – Trois anecdotes et l’expérience également de deux séminaires de traductions de l’arabe avec des poètes libanais une première fois, égyptiens une seconde – cf. Marseille/Beyrouth; CIPM 2002; Marseille/Alexandrie; CIPM 2006 –.
L’idée de l’”atelier polylingue” fait suite à ma Conférence du 27 juillet au Musée Zadkine. J’y lisais Maïakovski, pour la première fois en russe que ni je ne “comprends”, ni je ne parle.
Cette “Conférence” m’a permis, sinon de “donner ma position” de la repérer un peu mieux, de formuler quelque chose du proche et du lointain dans la langue, du semblable et du différent, et sur un mode qui commençait à me convenir. Dégager par exemple l’idée que celui qui ne travaille qu’une langue, même y insistant, évoluerait dans une “compréhension” plus réduite que celui qui parle plusieurs langues facilement, aurait un accès plus limité au Monde. Je dis le premier le plus “universel”, et c’est le Monde qui m’intéresse.
Si par moment ce projet peut me paraître “impossible”, je le porte tout de même comme un révélateur. On n’invente pas un tel projet sans une résonance intime. J’en attends un pas de plus dans l’émancipation de mes énoncés en général. Et si, passionnément, je souhaite “que l’on (me) parle”; j’attends de ces ateliers ce qui viendra de toute l’énergie mise en œuvre pour “dire” et “écouter”.

Déroulement

Un premier temps du travail consiste à “découvrir” les possibles participants. Un temps préparatoire est consacré à rendre possibles les séances en préparant des éléments d’”orchestration” – photos, peintures, textes, objets et matériel pour écrire, dessiner, photographier même –. Entre chaque séance, il est possible de moduler, d’améliorer les “partitions”. Les participants sont aussi conviés au cours des rencontres à proposer leurs éléments.
L’expérience commune est ce qui constitue l’objectif de ce projet, mais tenter de témoigner de l’intelligence de cette expérience me semble nécessaire, comme d’en “rendre” quelque chose à ses participants. C’est pourquoi nous allons filmer et enregistrer, mais aussi conserver les traces écrites croquis, graffitis, écritures. De même, envisager la possibilité pour les participants de faire des photos; gestes, expressions, etc., d’un point de vue inclus dans la situation cette fois.
Les bandes sons, les images – m’intéressent particulièrement les recours aux gestes, aux mimiques, aux tracés –, serviront de matériaux à plusieurs réalisations ultérieures; Atelier de Création Radiophonique si possible, vidéo, textes, et si possible une mise en scène commune, ou des scénettes, réutilisant comme modèles les éléments captés; reconstitutions de gestes, répétitions de paroles ou chacun emprunterait à d’autres. Nous composerons ainsi une mimétique de notre expérience commune.»

Anne Parian