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Séminaire Pratiques de soin et collectifs - Rencontre #3
Jeudi 15 décembre 2016, 19h

 

Les électrosensibles.
Ou les machines de subjectivation: maladie, conflit et l'émergence de collectifs.



Et soudain des invisibles, les ondes électromagnétiques, se manifestent chez certains parmi nous. Depuis déjà longtemps des personnes se disent sensibles, plus précisément souffrantes, dans leur corps, par la matérialité du plus vaste support de communication que les humains aient jamais constitué : le monde numérique et les ondes de transmission de l'information. Soudain ce monde "immatériel" se matérialise : les ondes sont "senties" par certains. On savait déjà la très relative immatérialité du féérique monde du réseau, et son impact écologique désastreux : les millions de kilomètres, de câblage parcourant la terre, l'extraction de terres rares exploitant les humains et dévastant les écosystèmes, les montagnes de déchets toxiques qui empoisonnent les pays pauvres, la voracité en énergie colossale (le Cloud consomme autant d'énergie électrique que l'Allemagne ou la France). Et voilà que maintenant c'est dans les corps que certains disent éprouver la présence physique de ondes électromagnétiques.

Des collectifs nouveaux se forment (de « malades »), s'allient avec d'autres (des anti-industriels), s'affrontent (experts roulant pour les multinationales). Mais qu'est-ce qu'une maladie? Comment prouver les effets des ondes ? Quels protocoles de véridiction du « fait » de l'électrosensibilité ?

Nicolas Prignot, ayant mené sa recherche avec des collectifs de malades, nous parlera des expérimentations en double aveugle, de la difficulté à partir des dispositifs expérimentaux contrôlés d'établir la preuve des effets des ondes, de la « psychopathologisation » de l'expérience d'électrosensibilité (on parlera alors de nocebo, où d'une maladie qui consisterait en la crainte d'être malade). Il évoquera d'autres formes de
« test » : ceux auxquels on soumet les molécules candidates à acquérir un statut de médicament. Mais aussi des protocoles pour prouver la réalité de la communication parapsychologique.

La question qui se pose est aussi celle du risque encouru par les électrosensibles, en quête de reconnaissance de leur souffrance, de se laisser enfermer dans une nouvelle catégorie médicale : celle d'une « vraie maladie ». Car, et c'est enfin un point essentiel de la proposition de Nicolas Prignot, penser le rapport entre milieu et maladie ce n'est pas penser cette dernière dans sa détermination par un milieu, mais penser l'expérience plutôt en termes « machiniques ». Cette notion qu'il emprunte à Félix Guattari, permet de considérer les rapports entre milieu et maladie autrement que dans des logiques causalistes. Il s'agira plutôt des agencements entre le corps, l'esprit (ou le psychisme) et les ondes de telle sorte que la production de savoirs reconfigurent l'expérience, certes. Mais que l'expérience, dans le même geste, configure les savoirs : entre-capture. L'expérience a des logiques qui lui sont propres, c'est parce qu'elle ne se laisse pas guider par une rationalité abstraite que des alliances et des conflits sont possibles.


Nicolas Prignot est chargé de recherche à l'Université Libre de Bruxelles, docteur en philosophie. Il a rédigé une thèse sous la direction d'Isabelle Stengers sur les électrosensibles. Il travaille sur des questions d'écologie urbaine (collectif « Ecologies urbaines de Bruxelles »).

 

ARF