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L'édition 2018 2019 du Journal des Laboratoires, dernière édition de sa version annuelle est arrivée aux Laboratoires. 
Elle comporte les contributions de Medhi Ackerman, Samira Ahmadi Ghotbi, François Athané, Julien Berberat, Léa Bosshard, Céline Cartillier, Marcelline Delbecq, Maryse Émel, Duncan Evennou, Ros Gray, Clémence Hallé, Rémy Héritier, Yayo Herrero, Severine Kodjo-Grandvaux, La tierce (Sonia Garcia, Séverine Lefèvre, Charles Pietri), Maurizio Lazzarato, Ariane Leblanc, Liaisons, Uriel Orlow, Pol Pi, Rester. Etranger, Sebastien Roux, Jean-Michel Roy, Catriona Sandilands, Shela Sheikh, Thibaud Trochu, Françoise Vergès et Alexandra Baudelot, Dora García, Mathilde Villeneuve.

Sa diffusion s'organise afin de le rendre accessible au plus grand nombre. La liste des lieux dans lesquels il sera possible de venir le prendre dès la semaine prochaine est la suivante:

Dans Paris : INHA (75002), Librairie After 8 books (75002), librairie La petite Egypte (75002), Centre Culturel Suisse (75003), La Gaîté Lyrique (75003), Galerie Martine Aboucaya (75003), Galerie Jean Brolly (75003), Campoli Presti (75003), Galerie Chantal Crousel (75003), gb agency (75003), Florence Loewy (75003), Mor Charpentier (75003), GDM La Galerie des Multiples (75003), Galerie Michel Rein (75003), Librairie Yvon Lambert (75003), Librairie Volume (75003), Galerie Jérôme Poggi (75004), Ensad, Ecole des Beaux-arts de Paris (75006), Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois (75006), Gaudel de Stampa (75006), Jousse Entreprise_Art contemporain (75006), Galerie Loevenbruck (75006), Fondation Calouste Gulbenkian (75007), Fondation Ricard ((75008), Librairie Artazart (75010), Maison des Métallos (75011), Ménagerie de verre (75011), Bétonsalon (75013), Galerie Air de Paris (75013), Villa Vassilieff (75014), Le Bal (75018), Fondation Kadist (75018), FGO-Barbara (75018), Le PLateau / Frac Ile-de-France (75019), DOC ! (75019), Galerie Jocelyn Wolff (75020), 22,48m2 (75020), Galerie Crève Coeur (75020), Balice Hertling (75003), Marcelle Alix (75020)

Hors de Paris : CAC Brétigny (91), Théâtre Nanterre-Amandiers (92), La Terrasse Nanterre (92), T2G Gennevilliers (92), Galerie Edouard Manet à Gennevilliers (92), La Commune à Aubervilliers (93), Maison Populaire à Montreuil (93), Le 116 / Centre Tignoux à Montreuil (93), Librairie Michele Firk / La Parole errante à Montreuil (93), Centre d'art contemporain La Galerie à Noisy-Le-Sec (93), le 6B à saint-Denis (93), Mains d'Œuvres à Saint-Ouen (93), La Dynamo à Pantin (93), Le Café Pas si loin à Pantin (93), CND à Pantin (93), Cneai à Pantin (93), Crédac à Ivry (94), Le Générateur à Gentilly (94), MAC VAL à Vitry (94)et la Galerie municipale de Vitry-sur-Seine (94).

En attendant, il est d'ores et déjà disponible aux Laboratoires, et vous trouverez ci-dessous l'édito de cette nouvelle édition publié dans son intégralité.

 

 

Dora García, The Messenger (since 2002) interprété par Nicholas von Kleist, MNCARS, Madrid, 2018. © Dora García

 

SILLONEZ, CONTRE LA PREDATION

Les Laboratoires du commun, les Laboratoires des artistes, les Laboratoires des sujets politiques, les Laboratoires des corps politiques.
Travailler ensemble est intense, fou, joyeux, délicat. Notre codirection, qui s’achève fin 2018 après deux mandats à la tête de ce lieu, a été un pari (parce qu’on ne peut décemment vivre sans prendre le risque de ne pas savoir où l’on va) entre nous trois, avec tous ceux qui ont rejoint l’équipe des Laboratoires au cours de ces six dernières années, avec les artistes invité·e·s et tous les collaborateur·trice·s avec qui nous avons tenté de bâtir, si ce n’est une sensibilité commune, du moins des sensibilités coexistantes, qui puissent dialoguer sans s’effacer, se construire sans nier ce qui les précède.

Pour ce faire, nous devions nous débarrasser des logiques individualistes pour préférer la mise en place de modes de partage – partage des savoirs disciplinaires, des formes d’attention et des modes d’adresse –, canaliser nos colères face à ce qui menaçait de les réduire, de les scléroser ou de les empêcher et faire grandir nos désirs dans une direction commune qui puisse trouver comment y répondre.

Il fallait dès lors réfléchir à ce qui composait ce « nous » que nous souhaitions rendre agissant. La façon la plus pertinente était de l’ouvrir et de le remettre en jeu au contact de chacune des propositions artistiques que nous étions amené·e·s à accompagner, auprès de chacun·e des chercheur·se·s et militant·e·s venant s’agréger aux projets, ainsi que des nombreux usager·ère·s qui fréquentent les Laboratoires, pour le faire advenir dans le temps, multiple donc, empreint de contradictions forcément et jamais vraiment arrêté.

En regardant en arrière, nous ne pouvons que constater combien le déploiement des recherches des artistes et leurs productions ont été différents les uns des autres et combien, à chaque fois, cela nous a demandé de remanier nos modes de collaboration, allant jusqu’à remodeler l’institution elle-même.

De l’enquête de terrain, des groupes d’étude, des invitations à d’autres artistes, des ateliers, des présentations dans et hors des Laboratoires, à des lectures, des performances, des expositions, des spectacles, nous avons exploré de nombreux médias, partenariats et modes de participation. Tous ont fourni des outils qui nous ont permis d’affiner ou de renouveler nos perceptions ainsi que les formes de représentation et de transmission ; et si nous devions caractériser ce que nos hôtes ont en commun, nous dirions qu’elles·ils se sont efforcé·e·s, chacun·e à leur manière, de proposer des façons d’habiter notre monde contemporain et de l’habiter ensemble, avec une attention très grande aux concepts et pratiques de soin, solidarité, amour, qui sont avant tout ce qui permet d’oeuvrer à une conscience politique ouverte aux autres.

Ce à quoi nous avons refusé de renoncer – et qui est une des choses les plus difficiles à tenir aujourd’hui, au vu de l’économie de l’art et des injonctions de résultats qui la structurent, tout comme ses évaluations trop souvent réduites au quantitatif –, c’était de continuer à suivre au plus près le cheminement propre à l’artiste, de caler l’institution sur la temporalité du développement de sa pratique et non l’inverse. Et de laisser constamment ouvert le dialogue afin que cette pratique puisse travailler l’institution à tous les niveaux, aussi bien celui du public, de la production, de la technique, du vivre-ensemble, que ceux administratifs et financiers. De prendre le parti, donc, d’échanger avec les artistes en toute transparence à chaque étape d’élaboration de leurs formes en devenir, et de laisser les questions et les doutes advenir, leur donner même une place.
Chaque année, la thématique du Printemps des Laboratoires a composé un miroir et une toile de réflexion de notre expérience de travail au quotidien avec les artistes, avec notre équipe et collaborateur·trice·s en tant que tous sujets politiques, historiques et citoyen·ne·s ; qu’il s’agisse des communs, des rapports entre l’art et le travail, des formes de critique opérantes de et dans l’espace public, des formes de soin, des perceptions extrasensorielles et du vivre-ensemble qui ne soit pas cantonné à des rapports d’endettement. Élargissant de fait cette expérience bien au-delà des Laboratoires, mais toujours depuis Les Laboratoires.

Nous avons, outre les résidences d’artistes, tenu à accueillir et à rendre visibles les paroles, les pratiques et les initiatives artistiques de collectifs, à l’intérieur et à l’extérieur du monde de l’art. Nous avons accueilli des revues politiques et sociales, d’art et de cinéma, nous avons hébergé des classes d’université qui livraient une réflexion passionnante sur le tournant pédagogique des arts. Nous avons fait de la place à des personnalités hors norme et créé l’opportunité pour que ces personnalités parlent à un public le plus nombreux et varié possible, en veillant toujours à rendre visible la logique de l’artiste ou du collectif. Nous avons fait des expositions avec les artistes en résidence en sortant des conventions usuelles d’exposition. Nous avons accompagné des processus chorégraphiques et performatifs qui se nourrissaient du contexte de travail propre aux Laboratoires et à celui, social, d’Aubervilliers, nous avons aussi soutenu des créations chorégraphiques qui nous semblaient essentielles.

Le sillon que nous avons tracé durant ces six années est tout sauf univoque et solitaire. Il est, à l’image encore des artistes qui ont contribué à ce cahier, marqué par une pluralité de voix, agencé par les rencontres que nous avons initiées et par celles qui sont advenues naturellement.
Ainsi, Céline Cartillier s’est imprégnée, pour générer sa partition chorégraphique, de la prosodie de paroles paysannes, des persistances de ces croyances, de ces déplacements et de l’évolution des représentations dans l’agriculture, charriant en trame de fond la notion de propriété. Comme pour Pol Pi, il s’est agi de se laisser hanter par l’autre sans pour autant chercher à se l’approprier, la gageure étant pour ce dernier de donner forme à l’indéterminé, d’incarner une identité transgenre pour mieux échapper à la capture. Quant à Duncan Evennou et Clémence Hallé, ils ont cheminé dans les mots de spécialistes de l’Anthropocène, nous donnant à lire ici une traduction du texte que Duncan Evennou interprète magistralement dans une sorte de one-man-show, jouant, sur le devant de la scène, de l’alternance des voix des spécialistes et des débats qui se sont tenus lors d’un forum international sur l’Anthropocène à Berlin, en 2014.
Nous avons moins cherché à figer et à incorporer des formes (à l’institution) qu’à éveiller des correspondances entre la pratique et la théorie, entre la raison et la déraison, entre l’animal et l’homme, entre le sujet et le monde, entre l’individu et le collectif, entre la politique et la poésie, entre la femme, l’homme et les genres non binaires, entre les langues humaines. Certes, ces six années de travail aux Laboratoires d’Aubervilliers ne sont que quelques pas qui viennent marquer la très belle histoire de ce lieu dans un contexte international qui ne cesse de se modifier, mais elles ont su poser un paysage artistique qui s’autorise à la transformation, hors des logiques du marché de l’art. Elles se sont risquées à constamment explorer les marges, que celles-ci soient individuelles ou collectives, politiques ou culturelles, construisant plutôt que déstabilisant les discours et les pratiques fragiles qui en découlent. Nous avons immensément appris. Nous remercions du fond du coeur toutes les merveilleuses personnes que nous avons eu la chance de rencontrer.

Alexandra Baudelot, Dora García, Mathilde Villeneuve