Entretien avec Suely Rolnik* par Jennifer Lacey
Jennifer Lacey Depuis plus de 30 ans, tu as dédié, à travers des enjeux variés, une somme importante de temps au travail de Lygia Clark. Quelles sont les différentes nécessités qui t'embarquaient vers les travaux qu’elle développait à Paris à la fin des années 60 et puis à Rio, ou qui t'ont poussée à lancer ton projet des entretiens? Je suis curieuse de savoir comment tu perçois ton propre parcours à travers ton engagement évolutif avec cette oeuvre d'une autre.
Suely Rolnik À la fin des années 60, j'étais très jeune, impliquée à fond dans la contre-culture, qui était assez singulière au Brésil. On vivait cette micropolitique de l'existence en essayant d’agir des déplacements dans nos processus de subjectivation, notamment en ce qui concerne le rapport à l’autre et les stratégies de création, menant une vie totalement expérimentale. C’était un désir incontournable de défaire en nous-même les figures de la subjectivité bourgeoise, avec son racisme, son classicisme, ses formes de famille, de conjugalité, de sexualité, de féminité et de masculinité, mais aussi d’habitation, d’alimentation, de gestion du temps, etc.
JL La plupart d'entre vous venait d’un milieu bourgeois?
SR Pour la plupart nous étions des couches moyennes et des élites, mais le désir de dépasser cet isolement de classe faisait partie de cette mouvance. À l’époque, il y avait entre les classes un abîme incommensurable, entièrement naturalisé, héritier d’une tradition esclavagiste coloniale probablement plus solide que dans d’autres pays d’Amérique latine et que la dictature ne faisait que renforcer. C’était l’une des expériences devenues intolérables pour ma génération. On voulait la dépasser non seulement dans le sens républicain des droits civils, mais dans le sens micropolitique de la structure de nos propres subjectivités, de la dynamique du désir. Cette pathologie historique a commencé à se défaire avec Lula, mais ce processus demandera encore beaucoup de temps et de travail pour permettre un déplacement consistant.
Mais à côté de cette caractéristique du Brésil, il y en a d’autres moins tristes qui relèvent aussi des traditions culturelles avec lesquelles le pays s’est créé. A ses origines, le pays a été peuplé par des arabes et des juifs qui fuyaient l'inquisition; par des africains amenés en esclavage de différentes parties du continent; et puis par les 1000 peuples différents qui vivaient ici avant la colonisation, homogénéisés par les colonisateurs Européens sous le nom d’«indien», dont la plupart a été littéralement détruite (un génocide qui se poursuit encore aujourd’hui). De façons diverses, ces cultures étaient porteuses d'un mode de production de la pensée et de la culture où le corps était essentiel. La connaissance du vivant était première et c’est à partir d’elle que se dessinaient et se redessinaient les modes d'existence.
JL Quand tu dis connaissance, tu entends par là la connaissance de soi, les connaissances a priori subjectives qui résistent à une codification?
SR J'entends cette capacité de tous nos organes de sens, au-delà de la perception des formes, compositions, couleurs, etc. Cette capacité qu'a notre corps d'être affecté par le corps vivant du monde et de participer à ce combat entre différents types de forces vitales, ces différents degrés de volonté de puissance dans l’orientation de l'existence, investis par les forces les plus actives aux plus réactionnaires. Cette capacité a été refoulée par la civilisation moderne inventée par l'Europe occidentale, catholique, apostolique, romaine et imposée aux autres cultures par la colonisation. Une violence traumatique dont un des effets est une tendance à s’identifier avec l'agresseur comme idéal du moi. Mais à côté des effets pathologiques de la destruction de ces cultures, nous sommes porteurs de la mémoire de ce type de connaissance qui peut toujours s’actualiser, produisant des réinventions du monde.
Le mouvement de la contre-culture au Brésil tient sa singularité précisément du fait d’avoir été l’une des irruptions collectives de cette capacité. Ce retour du refoulé nous approchait des cultures africaines et indiennes, mais la façon dont on les investissait variait beaucoup. Pour le vecteur du mouvement dans lequel j’étais impliquée, la question n'était pas celle de redevenir indien, africain ou européen médiéval, mais plutôt de chercher à actualiser cette connaissance du corps dans notre production de pensée et de culture, dans les conditions d’existence de la contemporanéité locale et globale. On peut situer le mouvement tropicaliste dans ce contexte. Pour cette partie du mouvement, ce n’était pas une question de reprendre les formes de ces cultures, mais de chercher des expériences qui nous aideraient à activer leur principe de production de la culture dans l’orientation de la vie actuelle. Rien à voir avec les hippies, une autre tendance de la contre-culture, qui idéalisait ces autres formes de vie pour les réifier comme porteuses d’une supposée vérité identitaire perdue.
L’activisme micropolitique contre-culturel au Brésil a subi de la part du gouvernement militaire autant de violence que l’activisme macropolitique, mais ce fait a été évacué de la mémoire des brésiliens : la contre-culture n’a jamais été perçue comme un mouvement de résistance à la dictature. Pour te donner un exemple de cette violence que j’ai subie moi-même, en 1970, le gouvernement militaire a choisi un groupe de jeunes impliqués dans la contre-culture pour les prendre comme cible d’un récit fictif véhiculé par les médias. Le but était de rendre ce mode de vie inoffensif par une stratégie d’humiliation publique. Moi et cinq autres amis avons eu « l'honneur » d'être transformés en personnages de ce récit. On nous a gardé en prison politique pendant deux mois, durant lesquels nous avons été présentés dans toute la presse et la télévision comme dévergondés, immoraux, putes, drogués, trafiquants, etc.
J’avais 20 ans et ça m’a complètement fragilisée ; c’est dans cet état que je suis partie en exil à Paris. Il y avait 30000 exilés brésiliens et parmi eux des philosophes que je connaissais. Dès mon arrivée, ils m’ont fait rencontrer Clastres, à ce moment en pleine construction de la logique immanente qu’il a introduit dans l’anthropologie, moment aussi de son dialogue avec Guattari et Deleuze qu’il m’a fait connaître. À la même époque, j’ai connu Lygia. Dans ces différentes oeuvres et, plus largement, dans l’atmosphère de l’après-68, j’ai trouvé une résonance à ce que j’essayais d’élaborer au Brésil, et ça m’a donné de la force pour reprendre ma vitalité et son investissement dans la recherche existentielle et théorique de la puissance politique du désir.
JL Tu viens du Brésil et moi des États-Unis, où nous avons aussi une culture complexe, fondée sur le génocide et l’oppression de peuples indigènes, un historique honteux d'esclavage des Africains et une confusion de migrations variées. J'aime beaucoup cette possibilité que tu évoques, que ceux qui ont été éduqués dans un spectre de culture européen (qui intègre une responsabilité du colonialisme) ont aussi une culture corporelle/mystique qu'il sera possible de réactiver, de réinventer ou simplement de reconnaître. Il ne s'agit justement pas de nous séparer en tant qu'Européens du reste de la population humaine en jouant la carte de l'appropriation et du fétichisme par rapport aux autres cultures qui ont peut-être gardé leurs relations quotidiennes, presque banales, à ce qui concerne le transcendantal. Je ne fais pas référence à la religion ni à la mythologie, mais plutôt a une possible croyance à l'imaginaire du corps non maîtrisé par le logos.
SR Je suis entièrement d'accord avec toi: ça fait partie de mon travail de combattre l’idée d’une supposée identité originale et, en même temps, de mobiliser par tous les moyens possibles l’actualisation de cette autre politique de production de la subjectivité et de la culture dans notre contemporanéité. C’est d’ailleurs une des questions centrales du livre qu’on a fait avec Guattari juste après mon retour au Brésil au début des années 80. On peut y trouver beaucoup de débats enflammés à ce sujet, à cause du malaise que la critique de la notion d’«identité culturelle» provoquait chez certains brésiliens, qui interprétaient cette critique de la perspective d’une dialectique colonisateur/colonisé comme un déni d’une supposée «identité brésilienne», alors qu’il s’agissait justement de se déplacer de la logique identitaire pour envisager les processus de singularisation.
JL Est-ce que ta rencontre avec Lygia était pour toi une façon de reconnaître tes propres besoins à travers son travail?
SR Je ne l'ai jamais formulé de cette façon, mais c'est exactement ça. Non seulement avec la Lygia artiste qui a poursuivi sa recherche de la façon la plus radicale à travers son œuvre jusqu'à la fin de ses jours, mais aussi avec la Lygia femme, qui était aussi courageuse par rapport à son désir. Chez elle, la force de l’éthique de son désir était plus puissante que la force de soumission à la morale dominante. Elle était issue de l'élite économique et politique de Minas Gerais, son grand père avait été sénateur et elle a épousé un entrepreneur du bâtiment de Rio. Et c’est dans cette ambiance-là du Rio des années 50 qu’elle a eu le courage de soutenir son désir, ce qui n’était pas du tout évident. L’identification avec elle a favorisé l’affirmation de mon propre désir. Lorsqu’elle a eu son troisième enfant, à 27 ans, elle a eu une crise qui l’a amenée à divorcer, à quitter cet univers et à se dédier à la création artistique; ça a été un choix irréversible. Elle a poursuivi sa recherche malgré le manque de compréhension vis-à-vis de ses propositions impliquant le corps qu’elle a développées pendant les 26 dernières années de sa vie, la reconnaissance de son oeuvre étant restée à sa production de peinture et de sculpture du début de sa trajectoire.
JL Qui portait ces jugements?
SR Que je sache, mis à part Mario Pedrosa et Frederico Moraes, tous les historiens et critiques d'art du Brésil disqualifiaient ce tournant de son oeuvre. Dans le meilleur des cas, ils s’identifiaient (et ceux de ma génération s’identifient toujours) a-critiquement à la pensée européenne et nord-américaine des années 60 et 70. Leur référence majeure est, encore aujourd’hui, la revue October et des artistes comme Richard Serra, Robert Smithson, les minimalistes, etc; pour eux il n’y aurait rien eu de significatif depuis dans la production artistique et théorique mondiale.
JL C'est vrai que les oeuvres de Richard Serra et de Robert Smithson sont très grandes!
SR Oui, en effet. Je les appréciais et les apprécie toujours, mais il y a tout ce qui a été produit depuis, notamment à partir de la nouvelle situation de l’art avec l’installation du capitalisme financier, dit «culturel», dans les années 80. Tout ça est encore ignoré aujourd’hui dans la pensée de l’art au Brésil, alors tu peux imaginer comment les expérimentations de Lygia étaient reçues à cette époque-là. On considérait qu’elle était devenue une espèce de baba-cool, avec le regret d’avoir perdu «notre artiste internationale»… N’oublions pas que ces historiens et critiques étaient des hommes et assez machistes.
Mais revenons à ce qu’a été pour moi la rencontre avec le Paris de ces années-là. En découvrant l’ambiance de l’après-68 et les oeuvres artistiques, philosophiques et anthropologiques que j’ai mentionnées, j’ai trouvé un terrain qui me donnait la possibilité de me remettre à vivre, à penser, à exister, à agir, protégée des effets toxiques de la mémoire du trauma que j’avais vécu au Brésil. Exister en français me permettait de lancer cette mémoire dans l’oubli, étant donné qu’elle était associée à la langue brésilienne; d’ailleurs, pendant presque toutes les années 70, je ne pouvais pas écouter cette langue sans me noyer dans l’angoisse. Au tout début de mon séjour, j'ai même fait une tentative de suicide et ce que je ressentais c’était que vivre était la même chose que mourir; la volonté de puissance était réduite à presque zéro... Pour cette raison, je suis devenue immédiatement française, je parlais français pratiquement sans accent, c’était comme une espèce de prothèse qui m’a sauvée, permettant une réactivation de cette puissance. Tu me demandais quelque chose à ce propos tout à l'heure...
JL Je te demandais si tu avais reconnu ton propre désir à travers le travail de Lygia.
SR Oui c'est ça, j'ai pu le reconnaître et y croire. Ça m'a réconciliée avec mon désir. Ce n'était pas facile de faire face au conflit qu’il y avait à ce moment-là entre le militantisme pur et dur et la contre-culture. Moi j’étais entre les deux, puisqu’en même temps que je vivais à fond la contre-culture, j’étais étudiante en sociologie à l’Université de São Paulo, le centre nerveux de la formation marxiste au Brésil à l’époque. Aussi bien les militants que la droite et l’État militaire nous accusaient d’être des hédonistes irresponsables. C'est vrai qu'il y avait du plaisir narcissique dans la contre-culture, mais du côté hippie alors que je faisais partie de ceux pour qui il s’agissait plutôt de promouvoir la décolonisation du désir dans nos existences individuelles et collectives, un défi incontournable, à la fois éthique, esthétique et politique, qui nous posait une question de vie ou de mort.
JL Je me souviens, lors d'une conversation avec Valie Export, qu’elle a dit, à propos de son travail de la même époque, qu'il s'agissait absolument de faire une nouvelle esthétique le plus vite possible, que c'était une question de vie ou de mort. Elle a dit ça très sobrement.
SR Oui, on a pris des risques terribles, par exemple la quantité d'acides qu’on a avalée pour éprouver d’autres capacités cognitives de nos corps et les sortir de leur refoulement. J'aurais pu devenir folle comme le sont devenu beaucoup des gens de ma génération, quelques-uns irréversiblement. On touchait aux limites tout le temps. Et puis cette histoire de baiser avec tout le monde pour se débarrasser de la sexualité bourgeoise, c'était d’une violence inouïe, parce que la plupart du temps il n’y avait aucune attirance vis-à-vis des gens avec qui on baisait. Mais faire exploser cette structure dans le coeur même du désir c'était, je le répète, une question de vie ou de mort.
JL C'est très intéressant pour moi qui appartiens à la génération suivante, rendue à nouveau «sage» par le SIDA entre autres, d'entendre que cette «révolution sexuelle» n'était pas de l'ordre de la jouissance totale et perpétuelle, ni de la douceur de l'éden ou d'une sorte de dionysiaque pasteurisé, mais que c'était un travail important, difficile et parfois douloureux. Il me semble que c'était presque comme un projet de recherche artistique hors de tout cadrage formel.
SR Oui c’est ça, un projet collectif d'une grande force et qui produisait une vraie joie dans le sens spinoziste ; ce qui n’a rien à voir avec le bonheur du moi qui jouit de la consommation de l’autre comme miroir pour la reconnaissance de soi. C'était la joie du corps qui se soutient en tant que vivant, radicalement, même au risque d'une destructuration totale; et, en effet, cette joie pouvait s’accompagner de beaucoup d’angoisse et de malheur du moi. Dans ce sens, je suis d’accord quand tu l’associes à «une recherche artistique hors de tout cadrage formel», puisque j’entends par recherche artistique le travail de rendre sensible la connaissance du monde par les affects de ses forces dans notre corps vivant. Ça peut s’actualiser dans la création d’une oeuvre d’art, mais aussi bien dans celle d’une autre forme d’existence.
JL Par rapport à ça, les workshops de Lygia qui mettaient au travail tous les moyens du corps de transmettre et de recevoir ses informations gagnent un autre aspect. Moi-même, je donne des workshops régulièrement, dans les écoles de danse ou d'art, ou bien d'autres lieux où il n'y a pas une communauté d’adeptes. Le touché apparait comme une manière importante parmi d'autres de rentrer en contact avec un autre, avec soi ou avec une recherche plus abstraite. Je pensais reconnaître le travail de Lygia à travers ce contexte, mais maintenant, je commence peut-être à percevoir son vrai contexte. Qu'en fait l'important n'était pas le choc de se toucher ou de se rendre compte de l'autre, y compris peut-être sa sexualité, mais qu'il s'agissait plutôt d’accueillir un «quelque chose» du soi volontairement dépourvu de ses repères et de l'entourer autrement. Si l'orgie sans bords était toujours possiblement présente dans cette boule particulière de l'historique humain, le travail de Lygia, dans ses workshops ainsi que «la structuration de soi», était peut-être pour inventer de nouveaux critères pour l'ancrage de l'être. Dans ce contexte, il me semble que le travail était plus sérieux, plus magique-concret et plus nécessaire que je ne pouvais l'imaginer.
SR Oui, la recherche était vouée à convoquer ce «quelque chose» qui est la connaissance par affect et à affirmer la puissance de création et de différentiation pour donner corps à cette «chose». Ça passait en effet par perdre ses repères, ce qui ne peut se faire que dans un territoire collectif et de partage de ce désir. J’ai trouvé dans le travail de Lygia une action radicale et vigoureuse dans cette direction. Mais ce n'était pas une rigueur simplement formelle. La forme des dispositifs aussi bien que des objets que Lygia créait pour les actions qu’ils impliquaient est absolument fondamentale ; néanmoins dans ce cas-là la rigueur n'est pas intérieure à la forme, elle est plutôt dans la puissance qu’elle porte de rendre sensible l'expérience de cette appréhension du corps, qui n’est possible qu’à travers une action.
Ce qui différencie le travail de Lygia de la recherche de ses contemporains et de tous les travaux dits sensoriels, c'est qu'elle ne se satisfaisait pas d’abandonner l'empire de l'oeil à la faveur de l’exploration du toucher ou de l'ouïe par exemple. Elle activait, dans chacun de nos organes de sens, cette autre capacité d'appréhension du monde, qui est en-deçà et au-delà de la perception. Je dis en-deçà parce que cette connaissance de l'affect est première par rapport à la connaissance perceptive et par rapport aux représentations qu’on associe avec ce qu’on perçoit, pour lui attribuer du sens. C’est notre point d'interrogation permanent, source de notre inquiétude, qui nous oblige à mener le travail de la pensée, quel que soit son langage (plastique, musical, littéraire, philosophique, existentiel, etc), pour injecter ce « quelque chose » dans les formes actuelles de l'existence et ses cartographies de sens.
Depuis son shift en 1963, le travail de Lygia a raffiné de plus en plus cette recherche. À l'époque, comme je t’ai dit tout à l’heure, Lygia était très isolée. À l'exception du dialogue qu’elle a eu à Paris avec Jean Clay ou Julien Blaine entre 1968 et 1971, dans le cadre de la revue Robho, aucun critique ou historien d'art n'écrivait sur son travail. Vers 1977, Lygia m’a demandé de consacrer ma thèse à Paris VII à la «structuration du self» qu’elle commençait à développer depuis son retour au Brésil l’année d’avant, et de participer à l’élaboration d’un texte qu’elle préparait sur cette proposition pour un livre au Brésil. Avec ces écrits, le champ de dialogue qu’il y avait entre ses recherches et mes inquiétudes a pris plus de consistance. À ce moment-là, mon travail était déjà nourri par la philosophie deleuzo-guattarienne et par mon expérience clinique avec la psychanalyse dans son versant psychothérapie institutionnelle et puis schizoanalytique. Elle envisageait là une possibilité de dire théoriquement ce que son travail disait artistiquement. En 1973 je lui avais présenté l’Anti-Oedipe qu’elle a lu avec beaucoup d’intérêt. Elle en fait mention dans une de ses lettres à Helio Oiticica.
JL Elle pensait qu'il y avait là une traduction possible?
SR Je ne dirais pas une possibilité de traduction ou de critique dans un sens traditionnel, mais plutôt celle de mettre en mots conceptuels ce «quelque chose» qu’elle mettait en forme dans ses propositions artistiques. Je conçois que l’enjeu du travail de la critique n'est pas d’écrire «sur», mais plutôt d’inventer une danse «pour» la musique de ce «quelque chose» que critique et artiste partagent mais que chacun écoute et performe à sa manière. Dans cette danse, chacun des partenaires trouve dans les pas singuliers que l’autre invente pour cette musique une possibilité de mieux préciser la singularité de ses propres pas. Bref, j'avais besoin de danser cette musique et je rencontrais dans l’oeuvre de Lygia un excellent partenaire.
JL Est-ce que tu crois que ça l'a influencée? Je pense au film Memória do corpo, qui a été pour moi le début de mon intérêt pour Lygia et qui m'a permis de commencer à la comprendre, à ma manière. J'y ai aussi reconnu quelque chose qui m'était nécessaire au niveau du jeu, dans ce langage ultra-psychanalytique qu'elle emploie à la fin du film quand elle parle par exemple du désir du vagin qui veut pousser et tout ce tralala de l'interprétation. Il m'a semblé totalement joué, une expérimentation de langage inadaptée. Est-ce qu'elle avait déjà ce langage ou penses-tu que votre rencontre l'a informée en ce sens?
SR Non, ça n’a rien à voir avec notre rencontre. Lygia a fait des analyses pendant toute sa vie, alors que, de mon côté, j’en étais très déçue à cause d’un épisode qui a eu lieu à ma sortie de prison. À cette occasion, un cousin de mon père, alors président de la session de l’Association Internationale de la Psychanalyse à São Paulo, voulait qu’il m’interne en hôpital psychiatrique. Mon père a refusé, considérant que j’étais fragilisée précisément à cause de l’enfermement en prison et par l’exclusion sociale que je subissais à la suite de cette campagne politique perverse des médias déguisée en leçon de morale. Il pensait que l’hôpital psychiatrique ne ferait que renforcer cette situation pathogène. Donc c'est plutôt le contraire, c’est Lygia qui m'a relancée dans la psychanalyse en me disant: «Tu as 20 ans et tu ne dois pas faire comme moi qui ai attendu mes 27 ans pour commencer mon analyse ; tu dois commencer immédiatement». J’ai suivi son conseil et mon premier analyste a été Guattari.
JL Mais tu es un trésor national!
SR Le moi n’est jamais un trésor et un trésor n’est jamais national; s’il y a un trésor dans le sens vital, il est plutôt relationnel...
JL Un trésor relationnel!
SR Un trésor réseaulationnel... À propos de ce langage psychanalytique que Lygia employait parfois, ça a toujours produit un malaise chez moi. J’avais l’impression d’un appauvrissement, alors que quand elle le disait à sa manière, en inventant toujours des images inouïes, c'était bien plus précis. J’avais même pensé qu’elle utilisait le discours psychanalytique pour se défendre de sa paranoïa vis-à-vis du pouvoir que ce discours avait à l’époque, ainsi que le discours universitaire. Tous deux avaient des effets inhibiteurs sur d’autres formes de discours, à cause de cette hiérarchie imaginaire des savoirs. Ça me fait repenser à ce que Fédida m’a dit lorsque je lui ai posé cette question, lors de son entretien pour l’Archive pour une oeuvre événement. Il a répondu que c’est un faux problème de s’interroger sur la raison qu’aurait eue Lygia d’utiliser ce type de discours et de se demander si c’était une stratégie défensive, même s’il y aurait quelque chose de cet ordre dans son choix. Il a dit: «La parole c’est d’abord une sécrétion, comme la bave... bave anthropophagique... Dans le langage de Lygia Clark, ce qui compte c’est qu’au moment où une parole autochtone vient dans la langue, il faut que cette parole s’habille, prenne un vêtement, alors que dessous, le mot était fou...»¹. En effet, en ce qui concerne la parole, ce qui importe c’est la bave et sa performance par les mots, à contre-poil des mots qui ne disent pas l’état du monde dans le corps vivant, mais qui au contraire réduisent ses turbulences au silence. Qu’on le fasse en mêlant dans nos procédés une part de névrose, ce n’est pas l’essentiel, dès que ça n’annule pas complètement la vitalité de la parole. Les mots qu’on choisit pour le dire ne peuvent être que ceux des répertoires dont on dispose, et peu importe lesquels. Lygia choisissait un masque de langage psychanalytique pour le dire, comme elle a pu utiliser d’autres répertoires tels que le langage mythologique.
JL J'imagine que c'est compliqué. Bien sûr, je projette, mais c'est chargé, cette question de validation en s'appuyant sur un vocabulaire et un usage qui bénéficient d'une reconnaissance ou bien de s'aligner à une pratique officielle mais, quand même, également obscure… Soyons claires, l'analyse est aussi un jeu, une invention…
SR Mais oui, c’est cette invention qui compte, en fait. Un des aspects les plus dérangeants de la psychanalyse est précisément d’avoir introduit une théorie et une pratique de la pensée comme invention. C’est une initiation à se mettre à l’écoute de la sensation et à mettre en mots ce que le corps annonce, ce qui n’est pas de l’ordre de l’explication, ni de la réflexion et encore moins de la révélation, mais de la création. Un investissement des mots dans leur capacité d’être porteurs de cette expérience qui n’existe pas en dehors de son actualisation. Ce que je désigne comme «expérience esthétique», c'est exactement cette capacité cognitive du corps et l’invention des mots pour la rendre sensible est du même ordre que la création artistique. Quand cet événement à la fois esthétique et analytique a lieu, il bouscule un champ de représentation donné. L’analyse déplace donc l’usage habituel des mots réduit à ce champ, pour en faire un moyen d’actualisation de l’expérience du vivant. C’est là que se situe la radicalité politique du geste freudien, qui a introduit dans la culture moderne occidentale un dispositif de résistance au refoulement du corps dans la pensée.
JL Je comprends cette scène à la fin du film comme une manière de boucler l'expérience, de fermer les bords de l'intimité physique, de faire un jeux des mots ou une espèce de théâtre, un théâtre psychanalytique, avec la personne qui a reçu le soin comme collègue de scène. Plutôt que d'expliquer ou démystifier la séance, j'ai l'impression qu'il s'agit de cloîtrer cette expérience, de lui donner l'espace pour s'épandre en tranquillité, hors de la parole.
SR J’aime beaucoup ton idée qu’il s’agirait là d’une espèce de rituel pour démarquer le passage à une autre sphère de l’expérience, de manière que l’expérience analytique puisse garder sa silencieuse densité et s’étendre dans d’autres espaces, d’autres temps, et par d’autres moyens que la parole.
JL Avec les soins aesthétiques (I Heart Lygia Clark), on ouvre toujours un moment de parole à la fin de la séance. Il est très différent de celui dans le travail de Lygia. C'est un moment de parole, mais on ne dit rien. On apporte du thé, on range la salle et on ouvre la possibilité de parler avec quelques phrases banales. C'est là pour annoncer la fin de ce quelque chose/spectacle, pour en finir pour qu'il puisse résonner hors de la relation sociale ou du contrat spectacle. La parole que les personnes prennent est toujours intéressante ; se sont les premiers retours de spectacle que je trouve vraiment passionnants, même si la personne ne dit rien ! Mais je pense que les sujets exprimés par ces paroles ne sont pas le comble de l'expérience, plutôt une gentille imposture, ou peut-être simplement un sas.
SR Mais il y a là toujours le risque de produire une parole qui neutralise l'expérience pour apaiser la peur des effets dérangeants qu’elle aurait pu éventuellement produire.
JL C'est un problème que j'ai eu aussi à titre personnel, en faisant des spectacles de danse qui éveillaient beaucoup de désir chez certains producteurs d'avoir des discussions après la représentation, surtout dans les pays germaniques. Ils jouissent du discours. C'est un peu aussi le cas en France. J'ai été attirée et stimulée par ça quand je suis arrivée de NY. Ça donne l'impression de produire quelque chose! Mais plus tard je me suis dit que, voilà, il y a le processus, puis l'acte du spectacle (j'utilise le mot spectacle pour éviter le mot «performance». J'aurais pu dire la danse simplement...), qui produisent un quelque chose, qui lancent ou nourrissent une dialectique avec leurs propres moyens. Et après, distinct des moyens/processus choisis, arrive ce fameux discours. L'erreur est de croire que ce discours est celui qui a produit le spectacle, que la danse est une fonction du discours. C'est faux, en tout cas pour moi. Le spectacle se produit lui-même à travers les exigences d'un processus spécifique. Le discours, qui est lui-même un autre spectacle, en est un produit tertiaire. Dans le cas du travail avec les Objet Relationnels, je trouve que le langage que Lygia emploie, même avec son autorité scientifique, reste très approximatif, comme si elle parlait autour de l'assiette. Et quand même, il me semble nécessaire, ce temps de parole.
SR Oui, je suis d’accord avec toi. Mais, pour revenir à ta première question de ce qui m’a fait reprendre le travail avec l’oeuvre de Lygia, je te dirais que j'ai eu besoin de danser avec son oeuvre à plusieurs reprises. C’est à un de ces moments, en 1997, que j'ai commencé cette folie de bâtir ses archives. Je suis allée à la Documenta X, invitée par Catherine David pour donner deux conférences dont une sur Lygia. Et là je me suis fait complètement attraper par l'art, ça a été encore un shift dans ma vie. Il y avait là une petite salle consacrée à Lygia, pour laquelle Catherine avait choisi une de ses propositions corporelles, qu’on montrait pour la première fois dans le cadre d’une expo. L’année suivante il y a eu aussi cette grande exposition rétrospective de Lygia à la fondation Tapiès, organisée par Manuel Borja-Villel et Nuria Enguita. C'était la première fois que tout ce versant de son œuvre était présenté comme en étant une partie essentielle. Ils ont fait un travail rigoureux qui offrait une vision d’ensemble, mais ils n’avaient pas encore une lecture sur l’enjeu que ses propositions mettaient en oeuvre, ce qui me semble indispensable pour situer le coeur de la poétique pensante qui traverse la trajectoire artistique de Lygia dès son premier geste.
C'est avec ces expos que Lygia est devenue une grande star de l'art contemporain international, et son travail a commencé à circuler partout, notamment cette partie-là. Non par hasard, c'est aussi le moment où le marché de l'art a commencé à incorporer les conceptualismes et toutes les pratiques radicales des années 70 qui ne résultaient pas dans l'objet, surtout celles des pays anciennement colonisés. Le retour de Lygia et des pratiques artistiques contre-culturelles dans le circuit de l'art est arrivé au même moment, lorsque le néo-libéralisme, qu'on désigne avec raison comme «capitalisme culturel», pointait déjà à l'horizon en Amérique Latine. Voir la façon dont on montrait son travail m’inquiétait de plus en plus; un exemple, c’est l’expo Global Conceptualism. Points of Origin, 1950s-1980s au Queens Museum, qui était la découverte par les Américains que le conceptualisme n'avait pas été un phénomène exclusivement national. Il y avait une salle consacrée à Lygia où ils présentaient une de ses Architectures Biologiques, cette série des propositions pour des groupes qu’elle a développées entre 1968 et 1970. L’objet de la proposition qu’ils ont choisi était ce grand plastique transparent rectangulaire, avec des sacs de nylon ou de jute cousus à ses extrémités dans lesquels les gens devraient mettre leurs jambes et, à partir de là, improviser des mouvements en cherchant à envelopper les autres par le plastique. Cette consigne d’être actif dans l’invention d’une approche du corps de l’autre avec une instabilité de la marche, en devant l’enrober avec ce plastique qui était en même temps manipulé collectivement, obligeait à avoir recours à des puissances cognitives inexplorées. Sans ça il n’y aurait que cet objet, certes rigoureusement conçu mais pour donner lieu à cette expérience, en dehors de laquelle il n’y aurait pas d’oeuvre. Et bien, ce qu’ils présentaient dans l’expo ce n’était que ce bout de plastique avec les sacs cousus et, en plus, posé sur un socle comme un «objet d’art».
JL Oui, ça ne m'étonne pas. J'ai vu le travail de Lygia pour la première fois dans l'expo Out of Action. Il y avait les masques en coton mauve avec des petites poches au niveau des narines, pleines de lavande je crois, ou bien avec les yeux occultés d’une manière spéciale. Ils étaient sur un long socle-cercueil blanc; very lonely, ambiance fin de fête embaumée. Personne, y compris moi, n’osait les aborder vraiment. Dans l'ambiance a-contextuelle de l'exposition, leur statut imposé d'Objet d'Art ne dégageait aucune allure, ils ne possédaient plus aucun pouvoir. Il y avait aussi quelques tableaux géométriques et quelques objets formels en papier, coupés pour faire trois dimensions. Je n'ai rien compris à ces œuvres et les ai trouvées hermétiques et ennuyeuses. J'ai été plus impressionnée par la photo de Lygia habillée en plein délire tailleur années 50, avec un chignon important. Puis, en 2000, j'ai vu Memória do Corpo à la fondation Generali à Vienne, et là j'ai compris quelque chose de son oeuvre et aussi de moi-même. Bien sûr, je ne me suis pas tout de suite dit que j'allais tripoter des gens, pas du tout, mais j'ai réalisé que j'avais une croyance voilée et profonde à propos du lieu de la réception d'un travail. J'aime beaucoup le langage et cet amour m'est fondamental, mais je réalisais que cette « réception » à laquelle je croyais ne dépend pas de la logique de la linguistique et que cette trame de sens indépendante et complémentaire était importante, nécessaire et possible. J'y ai reconnu quelque chose de très profond. Et puis, j'étais très en colère avec Out of Action!
SR Oui c'est plus que préoccupant, tout ça. À cette soirée au Queens Museum, j’ai pu voir à quel point la situation était grave et ça m’a déprimée. J'ai senti qu’il fallait inventer quelque chose pour faire face à ça, un dispositif pour activer la force de la poétique de Lygia de façon qu’elle puisse avoir des effets sur la pensée artistique contemporaine. Mais je me rends compte en parlant avec toi que mon malaise ce soir-là n'était pas uniquement du à Lygia. C'était aussi d’avoir constaté plus clairement ce qu'il se passait dans cette reprise par le système de l’art de la mémoire de la contre-culture, du conceptualisme etc. Ça m'a rendue malade.
JL Ça propose une certaine nostalgie. Peut-être que c'est une manière culturelle de maîtriser une tristesse. Je crois qu'il existe parmi nous un vrai regret qui est forcément lié à la perte de cette contre-culture, un regret d'avoir perdu le fil lancé… Cette nostalgie est un possible moyen de neutraliser la perte, une forme de fétichisme qui l’éternise. Peut-être que nous sommes juste un peu cons et préférons la version passé/objet mais je crois qu'il y a une vraie tristesse...
SR Au-delà de la tristesse ou de la connerie, la mémoire de ces pratiques est apparue dans la deuxième moitié des années 90. Les nouvelles générations commençaient à sentir le besoin de s'approprier cette mémoire, pas comme fétiche mais en tant qu'instrument pour mener leurs propres élaborations, leur propre pensée, leur propre invention vis-à-vis des questions contemporaines, leur propre résistance aux forces réactionnaires. Leurs questions étaient totalement différentes de celles des années 70, donnant lieu à des énoncés totalement différents. Ce qu’ils cherchent dans ce retour c’est de reprendre cette éthique de l'existence, non pas ce qui a été produit à partir de cette éthique dans d’autres temps et d’autres lieux. Or, le moment où la partie la plus puissante de cette génération commence à le chercher dans les pratiques artistiques de ces années-là, c'est aussi le moment où le mainstream de l'art et le marché, s'y intéressent, mais en les neutralisant, en en faisant des fétiches stériles. Je pense que leur connerie n’en est pas la cause, mais plutôt l’effet. La cause serait leur manque de recours subjectifs aussi bien pour absorber la turbulence de l’état du monde dans le corps qui met leur répertoire en crise, que pour mener le travail de pensée que cette situation exigerait, une exigence qu’une vraie ouverture à ces pratiques artistiques ne ferait que renforcer. C'est donc d'abord l’angoisse qui vient de l'incapacité psychique de faire face à la vie comme puissance de différentiation ; des forces réactives prennent alors le relais pour réduire au silence cette dynamique vitale sous un amas de conneries.
C'est poussée par cette inquiétude que j'ai décidé de faire des entretiens avec beaucoup de gens, surtout de ma génération, mais aussi avec des jeunes qui veulent reprendre ce qui était à l’oeuvre dans les propositions de Lygia, et qui ne se réduit pas à elles. Je voulais surtout parler avec des gens de cette génération au Brésil qui avaient vécu cette expérience d'une façon semblable à la mienne, avec une conscience du sens politique de ce que nous étions en train de faire, même si on n'arrivait pas encore à le dire à cette époque-là. Je voulais que ces entretiens convoquent la mémoire du corps de mon interlocuteur, spécialement les marques de la radicalité de cette expérience et que notre conversation puisse contribuer à ce qu’il la mette en mot et moi aussi, d’avancer dans la possibilité de la dire le plus précisément possible. Il s’agissait d’une espèce d’élaboration à deux voix.
C'est aussi pour ça que j'ai choisi d’interviewer des gens comme Hubert Godard, qui vient de la danse et mène une recherche sur le corps depuis les années 60-70 et qui n'avait jamais entendu parler de Lygia. Je lui ai dit que je ne voulais pas qu'il parle de Lygia mais qu'il me raconte la façon dont le corps était pensé et pratiqué dans le milieu de la danse à Paris dans ces années-là. Curieusement, son entretien est un de ceux qui contribuent le plus à approcher l’œuvre de Lygia. Un autre entretien merveilleux est celui de Fédida que je n'ai malheureusement pas inclus dans le coffret parce que sa famille ne l'a pas permis. Un autre est celui de Tunga que je n'ai pas encore édité.²
JL Ce que j'apprécie beaucoup en t'écoutant, et l'important pour moi de ton projet, c'est de comprendre que l'acte de faire ces entretiens n'est pas pour amasser des tonnes d’archives validatrices, ni de se noyer dans les flots de souvenirs d'un moment doré. Même si tu n'apparais pas à l'écran, ta présence invisible nous accompagne de l'autre côté de l'écran, nous infecte d'implication. Ces paroles nous sont adressées, à titre personnel, elles nous impliquent dans une expérience, dans un travail toujours actuel. Ton rapport à ces documents refuse la nostalgie du passé comme objet, peut-être d'abord pour toi-même. Il est émouvant de comprendre que c'était une nécessité pour toi de faire ces rencontres, de produire un quelque chose qui aurait le pouvoir de détourner une situation qui t'était insupportable.
SR Telle était au moins mon intention.
Texte paru dans le Journal des Laboratoires, mai-août 2012