« Hirschhorn donne une raison très simple à la rigidité du programme du Musée: son travail doit « produire » chaque jour quelque chose. « Ce n’est pas passif – un patrimoine : les oeuvres sont là pour développer une activité.» Le concept de patrimoine – un ensemble de « biens », matériels ou non, hérités de et appartenant à une personne ou un groupe de personnes, mais le plus souvent liés à l’État – est très précisément mis en question par le Musée Précaire. Les habitants du Landy ne sont pas simplement invités à se réapproprier les oeuvres, à aller les voir dans leur propre quartier, à regagner, même temporairement, une légitimité qui leur est généralement déniée. Ils sont surtout invités à diriger et surveiller une institution dans laquelle ces oeuvres sont montrées. Ce sont eux qui ont construit le Musée Précaire, qui, en amont, ont été formés au Centre Pompidou à la sécurité, au transport et à la médiation des oeuvres, qui ont géré la buvette et généré ainsi un peu d’argent. Ce sont eux qui ont monté, démonté et surveillé le Musée, et endossé, non sans quelques scrupules, la responsabilité de son «succès», comme le montrait clairement leur attitude vis-à-vis des visiteurs. Aussi peut-on imaginer le regard, nourri d’un sens actif d’engagement collectif, qu’ils posent sur les oeuvres présentées. Le travail fourni au Musée, rémunéré ou non – et quoi que les habitants en tirent, quand bien même il s’agirait juste de s’asseoir dehors à la buvette – élargit leur définition de la notion de spectateur, la définit comme une forme essentiellement « participationnelle », loin de l’acceptation passive d’un patrimoine, forme convenue de regard proposée par l’institution. »
Extrait du texte « Les Utopies précaires de Thomas Hirschhorn », par Rachel Haidu in Le Journal des Laboratoires, n°3, décembre 2004.