"Ma chère Lygia,
Je suis à Malmö et je pense à toi. L’air est bourré d’iode et les mouettes ici ont une tonalité plus aigue qu’en France. C’est vrai que toi et moi, nous n’avons pas grand chose en commun (à l’exception peut-être de l’effet « Américaine-à-Paris »), mais les sentiments que j’éprouve à ton égard sont bien réels. Pour m’expliquer : je viens d’un pays où le sens de l’Histoire est à mon goût trop lié au nationalisme. Je suis aussi, comme toi, une Lady-Artist et j’ai du mal à me situer dans l’historique de mon métier, surtout à cause du mal de mer induit par cette sorte de nationalisme qui ne m’appartient pas. Donc, ma Lygia, dépaysée comme je suis, je te déclare mon intention de lier ponctuellement toutes mes activités sous ton drapeau, toi en tant que pays, toi en tant qu’historique. Ne t’inquiète pas. J’espère que mes collègues et moi nous ne fontionnerons pas dans une logique d’hommage, une forme trop peu respectueuse de mon point de vue. On colonise plutôt un nouveau terrain avec ta tête gravée sur la monnaie. Je te remercie pour ton travail Lygia, et je m’excuse par avance, car le travail que nous faisons, moi, Barbara et Audrey, n’est surtout pas de l’ordre de la thérapie mais plutôt de l’expérience esthétique, comme Caetano Veloso l’a dit de ses expériences avec toi. Peut-être a-t-il mal compris ? Peut-être que nous aussi. Ne t’inquiète pas, on laissera tranquille la terre que tu as cultivée. C’est sans doute bien obscur ce que je dis mais je crois que ça te plaît, non ? En tout cas, le travail ne se situe pas sur la page, et sur ce point on est d’accord. Donc le mois de mai à Aubervilliers sera à toi et à nous aussi. Et à ceux qui nous rejoindront. Mais là maintenant, ici en Suède, je pense à toi et mes sentiments appellent un soulagement qui arrive quand on met les mots sur les choses. Et je les dis bien entendu pour mon bienfait en espérant qu’ils te toucheront aussi.
I love you Lygia Clark
Jennifer Lacey"
Texte publié dans le Journal des Laboratoires (flyer) de mai 2010