Jusqu’à son départ pour les États-Unis en 1966, Guy de Cointet, né en 1934 à Paris, n’a laissé que peu de traces. Des études inachevées aux Beaux-Arts de Nancy, un travail à Paris comme illustrateur de mode, quelques tableaux-reliefs réalisés en marge du Nouveau Réalisme. C’est à partir de 1968, installé à Los Angeles où il assiste l’artiste Larry Bell, qu’il commence à produire de manière plus assidue des peintures, des dessins et des publications. Il poursuivra tout au long de sa carrière une pratique de dessin, minutieuse autant que prolifique, qui connaît un certain succès critique et commercial. Le tabloid ARCRIT, qu’il publie en 1971, a valeur programmatique : ce journal réunit un ensemble de cryptogrammes, reflétant sa passion pour les langues inventées, les rébus, les jeux mathématiques et les systèmes de représentation graphique de codes et de symboles, qu’il développe également dans ses livres écrits à base de codes graphiques et numériques. À partir de 1973, certaines de ses peintures de lettres et de signes deviennent des éléments de décor pour de courtes saynètes qu’il écrit et met en scène, dont les intrigues, mêlant comique et mélodrame, se fondent souvent sur une interprétation, un « décryptage » de leurs motifs en apparence abstraits et hermétiques. Jouées dans des lieux d’art, elles frappent la critique par la mystérieuse élégance de leur langage, de leur décor et de leurs interprètes. La rencontre au milieu des années 1970 avec l’artiste Bob Wilhite, avec lequel Guy de Cointet réalise trois pièces plus complexes, où le son joue une large part, lui permet de développer un théâtre où l’intrigue se déplie à partir d’objets scéniques – formes graphiques, abstraites et colorées, manipulées et interprétées par les acteurs, générant une infinité de sens, autant poétiques que cocasses. Singulière dans une scène californienne où prédomine le Body Art, l’œuvre de Cointet témoigne d’un intérêt pour une narration à l’intertextualité complexe, faite de citations montées de manière à en dissimuler les sources. Il partage cette textualité avec une génération d’artistes tels que William Leavitt, Allen Ruppersberg ou Morgan Fischer, auprès desquels Cointet fait notamment circuler ses lectures de Raymond Roussel. « Ce qui nous rapprocha avec Guy », évoque Bill Leavitt, « fut que nous percevions les situations, les actions, les manipulations d’étranges appareils dans les Impressions d’Afrique (…) comme un affranchissement des conventions narratives du fait du désintérêt de Roussel à générer du suspense ou à parvenir à une résolution. » Par l’entremise de son ami l’acteur et metteur en scène Yves Lefebvre, Cointet organise deux soirées de lectures de Raymond Roussel au Théâtre Récamier à Paris en 1976, où il reviendra mettre en scène, dans les années qui suivent, deux pièces importantes : Tell me en 1981, et De toutes les couleurs au Théâtre du Rond-Point en 1982. Cette aspiration vers le théâtre, poursuivie en parallèle de ses expositions à New York et Los Angeles, prolonge une œuvre de plus en plus orientée vers l’écriture, interrompue brutalement par son décès subit en 1983. L’œuvre de Cointet, influente de son vivant auprès d’un cercle restreint d’artistes qui, comme Mike Kelley, ont revendiqué leur filiation, n’a fait l’objet d’une relecture qu’à partir des années 2000 où elle reprend sa place, singulière et indépendante au sein des courants conceptualistes et structuralistes de son temps.
François Piron, mai 2016
guydecointet.org