Pour cette sixième édition, Les Laboratoires d’Aubervilliers continuent leur programmation des ateliers de lecture qui, à raison d'une rencontre mensuelle, proposent de mener collectivement recherches et réflexions autour de la problématique spécifique abordée depuis différentes disciplines (l’art, les sciences humaines, la politique). Ces ateliers participent à la construction du « Printemps des Laboratoires », projet de recherche partagée qui se décline tout au long de l’année via des workshops, tables rondes, projections jusqu’à l’avènement d'une plateforme publique de rencontres, performances et projections. Ce rendez-vous public, qui aura lieu les 2 et 3 juin 2018, en constitue la mise en perspective finale à une échelle internationale. La programmation est articulée chaque année autour d'une problématique spécifique qui cette année, afin de prolonger et d'approfondir les questions, champs et domaines abordés et soulevés l'an passé. Cette année est placée sous le titre de « Endetter et Punir ».
Cette nouvelle édition s’appuie en effet sur la question de la dette dans les pays européens comme une condition intrinsèque à notre être social et humain : nous sommes nés endettés et nous perpétuons cet endettement sur les futures générations. La lutte pour s’en libérer est celle de la construction d’une nouvelle subjectivité humaine, politique et sociale. Loin de la dimension économique qu’une certaine approche politique de la dette s’acharne à mettre en perspective et à débattre, nous postulons que cette dette n’est pas ancrée dans la relation directe à l’argent mais dans nos manières d’agir, dans la privation de nos libertés et dans notre être fondamental. Ce Printemps va donc s’employer à explorer la manière dont s’inventent des formes de politiques alternatives en Europe comme autant de zones génératives de nouveaux modes de vie et de procédures d’attention.
Atelier # 6
La dette fonctionne comme un système de ramifications qui conditionne notre paysage social et culturel, politique et intime. Plus que la dette en soi, ce sont les recherches visant à s’y soustraire qui nous intéressent également dans le cadre de cette édition du Printemps des Laboratoires intitulée Endetter et punir. Ainsi, nous nous concentrons sur les courants de pensées et les modalités d’action qui invitent à composer à partir des dettes coloniales et écologiques, à inventer de nouveaux paradigmes et imaginaires que ceux qui y sont capturés. Dans ce cadre, nous avons souhaité inviter l’artiste Carole Douillard à proposer un atelier de lecture en lien avec son travail artistique, et plus spécifiquement son projet en cours réalisé en collaboration avec Babette Mangolte.
« En résonance avec un projet de film que je mène actuellement à Alger avec la cinéaste Babette Mangolte, je propose un rendez-vous autour de 3 textes et d'un petit court métrage. Tourné à Alger en avril dernier, le film, en cours de montage, qui sous-tendra notre échange consiste en la remise en jeu, dans l'espace public, d'une performance historique de l’artiste américain Bruce Nauman. En 1967, Bruce Nauman réalise dans son atelier l’une des premières performances répertoriées par l’histoire de l’art dans laquelle il marche de manière exagérée autour du périmètre d’un carré
(Walking in An Exaggerated Manner Around the Perimeter of a Square).
Le contexte contemporain Algérois me porte depuis plusieurs années à questionner l'idée de corps «contraint», en y mettant notamment en scène, ici, celui d'un jeune homme qui se déhanche… A travers les documents choisis, il s’agira de questionner la relation entre le pouvoir français et le traitement des «corps colonisés», y compris dans leur héritage contemporain ». ― Carole Douillard
Cet atelier de lecture s'articulera autour de l'étude de l'article d'Emmanuel Blanchard, « Le mauvais genre des Algériens, Des hommes sans femme face au virilisme policier dans le Paris d’après- guerre », paru dans le n°27 de la revue Amériques Métisses en 2008 ; de celui de Vincenzo Sorrentino, « Foucault et la question coloniale », paru dans le n° 72 de la revue Cités en 2017 ; et de Mémoires d'un architecte de Fernand Pouillon, publié par les éditions du Seuil en 1968 (l'ouvrage est aujourd'hui épuisé). Le film à partir duquel est tissé cette rencontre, est Haçla (La Clôture) de Tariq Teguia (2004).
Babette Mangolte & Idir, Alger, 2018, © Carole Douillard
Artiste franco-algérienne engagée dans les formes performatives, Carole Douillard utilise sa présence ou celle d'interprètes comme sculpture pour des interventions minimales dans l'espace.
Se situant au bord du spectaculaire tout en prenant soin de l'éviter, son travail appelle une redéfinition du spectateur, de l’espace de la performance et de sa documentation. Par ces dispositifs scéniques et scénographiques, elle interroge la relation de pouvoir qui s’instaure entre une forme
contemplée et ceux qui la contemplent.
Ses récents projets ont pris place à la biennale de Lyon, à la galerie Michel Rein (Paris), à la Fondation d'entreprise Ricard, au Palais de Tokyo, au Mac Val (Vitry/Seine), au Wiels (Bruxelles), à la Ferme du Buisson (Noisiel), au Musée de la Danse (Rennes), au Centro de Arte Dos de Mayo (Madrid), au Frac des Pays de la Loire (Carquefou).
En 2014, grâce au soutien du CNAP (aide au développement d'une recherche artistique) elle a débuté, en Algérie, le projet Dog Life qui met en jeu les relations du corps aux espaces du maghreb contemporain. Dans la continuité de ce temps de travail, elle finalise actuellement, à Alger, la remise en acte d’une pièce historique de l’artiste Bruce Nauman, en collaboration avec la cinéaste américaine Babette Mangolte, oeil de la performance New Yorkaise des années 60 et 70 (ce projet reçoit le soutien du FNAGP, Institut Français Paris-Alger, Région Pays de La Loire, Drac Pays de la Loire, Galerie Michel Rein).
Carole Douillard est depuis janvier 2016 artiste associée à l’Institut ACTE, CNRS - Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, équipe Espas (Esthétique de la performance et des arts du spectacle/Aesthetic of performance art) et enseigne régulièrement en écoles supérieures d’art et à l’université.
Alive, sa monographie parue en 2016 aux éditions Cabin Agency, est distribuée par les Presses du réel. Elle rassemble des essais de Janig Bégoc et Chantal Pontbriand, critiques d’art, David Zerbib, philosophe, Christian Alandete, commissaire d’exposition.
Christian Alandete