Conversation entre Gilles Clément, Marjetica Potrč et Guilain Roussel*


Marjetica Potrč
La Semeuse n’est pas un projet rationnel, elles est née des réseaux existant à Aubervilliers, des rencontres avec des associations. C’est un projet organique, né de la société, dans un effort de transformer la réalité présente et de visualiser le futur. C’est cette vision qui est importante pour moi. La Semeuse est devenue un objet symbolique, c’est là sa beauté. On a même parlé de monument, pas au sens traditionnel du terme mais comme objet symbolique dont la société a besoin pour transformer les choses. Il ne suffit pas de discuter, encore faut-il agir, se rassembler autour d’un objet que l’on peut visualiser, qui permet de faire des choses.

Guilain Roussel  Oui, je pense que La Semeuse cristallise les besoins de nombreuses associations qui sont restées renfermées sur elles-mêmes jusqu’à présent. Alors qu’il y a un réel désir d’échanger sur ce qui se passe à Aubervilliers.

Gilles Clément Est-ce que La Semeuse produit un réseau, du lien entre toutes ces communautés?

MP Oui.

GR  La Semeuse est avant tout un espace physique, où l’on peut échanger des graines et des plantes gratuitement, les multiplier, mais aussi échanger des savoirs. Par exemple, il existe à Aubervilliers les Jardins Ouvriers des Vertus¹, une ancienne association qui date de 1930, mais qui n’avait pas vraiment de contacts avec les autres associations de jardins partagés plus récentes, pourtant en demande de tels savoirs. Alors on a mis en place des rendez-vous, le troisième mardi de chaque mois, pour permettre ces rencontres, en discutant autour d’un sujet, en montrant des films…

GC  Connaissez-vous le mouvement des Semeurs Volontaires²? C’est un mouvement, né il y a trois ans environ, de gens qui multiplient les graines de plantes potagères non homologuées, celles qui ne sont pas dans le catalogue officiel et sont en principe interdites à la vente. Ces graines-là ont énormément d’intérêt, d’abord parce qu’elles constituent un pôle de diversité, mais aussi parce qu’elles permettent de résoudre des problèmes techniques locaux. Ce qui pousse à Aubervilliers ne pousse pas forcément à Bordeaux ou à Besançon. Et ces graines ont été progressivement retirées du marché officiel parce que c’est trop compliqué à distribuer et que c’est plus rentable pour les grosses multinationales de vendre très peu de semences. Au début du XXème siècle, les catalogues de semences de Villemorin, par exemple, étaient épais comme un annuaire téléphonique de la ville de Paris. Aujourd’hui, il n’y a plus que trois pages.

GR  Comme cet arbre de la diversité alimentaire représentant la réduction du nombre de semences disponibles entre 1905 et 1985 que tu m’avais envoyé, Marjetica.


Arbre de la diversité alimentaire


MP
  Cet arbre de la diversité alimentaire est très intéressant car il montre qu’aujourd’hui nous vivons avec moins. Pour en revenir à Aubervilliers, il y a aujourd’hui de grands projets de développement soutenus par la ville pour faire venir des fonds. Or les gens vivent très bien avec ce qu’ils ont, développent d’autres formes de richesses.

GR  C’est aussi la menace des développeurs qui révèle la richesse très progressivement. Aubervilliers est un microcosme, que La Semeuse cherche aussi à mettre en valeur: toutes ces personnes venues de pays très différents, avec leurs plantes. Des plantes qui ont un sens pour elles, qu’elles veulent garder, planter.

GC  La ville soutient et protège-t-elle ces projets de jardins?

MP  Oui, il y a ce projet que j’aime beaucoup, Les Petits Prés Verts³, exemplaire du désir de transformer des espaces verts non utilisés en jardins partagés. Mais qui sait combien de temps la municipalité pourra résister à la menace immobilière? Nous nous posons la question de savoir comment les gens peuvent s’organiser et influencer la municipalité. Et si celle-ci peut considérer La Semeuse comme un projet pilote. Notre projet naît à un moment très intéressant, et nous voulons que les gens se l’approprient pour partager leur vision de la ville.

GC  Pour un paysagiste comme moi, des villes comme Aubervilliers, Bagnolet ou Montreuil font vraiment office de laboratoires, avec une précision qu’on ne peut obtenir à Paris ou de dans de très grandes villes par exemple. Partout sur la planète, les populations ont été rejetées dans la périphérie de ces grandes villes, où elles vivent ensemble dans une forme de confrontation culturelle. La question de comment continuer à vivre en nombre dans un territoire déterminé avec une possible production locale est vitale à mes yeux. C’est une question qui se pose aujourd’hui partout. Tous les dix ans, l’équivalent en terre arable, cultivable, de la surface d’un département français disparaît à cause du développement inconsidéré des villes. On n’a pas encore pris la mesure de l’importance, du côté précieux de la terre qui produit quelque chose. Alors des lieux comme Aubervilliers, où il y a une vraie prise de conscience, deviennent des lieux expérimentaux, exemplaires pour une vie future, pour tout le monde, même si le modèle n’est pas transposable tel quel bien sûr.
Une autre question cruciale est celle de la production, avec ce que j’appelle le principe de la ville recyclable. Une société peut-elle continuer à vivre sur un territoire limité, avec une forte densité de population, sans détruire son territoire? Oui, en recyclant tout correctement, localement. Pour un jardinier c’est un modèle évident: on sait faire un compost, trier les objets, recycler la matière organique sans utiliser des conteneurs compliqués ou des sacs en plastique. Mais si on mettait un modèle de société de consommation classique en devoir de recycler tout, il faudrait re-concevoir les objets de consommation, pour qu’ils soient recyclables. On n’aurait plus du tout les mêmes objets, les mêmes manières de vivre. Là, je trouve que le potager ou le jardin peuvent devenir un modèle de société, de gestion des énergies.
Dans un lieu comme Aubervilliers, on est typiquement dans la problématique de la finitude spatiale. C’est circonscrit, ce n’est pas très grand, mais la planète non plus ce n’est pas très grand. Ce n’est pas extensible, à part en hauteur, et on sait que si on met beaucoup de monde en hauteur on ne va faire qu’augmenter le problème. Il y a un problème de démographie qu’on n’ose pas aborder. Bien sûr il ne s’agit pas de réguler la population. Ma proposition serait plutôt de développer des pédagogies, d’augmenter la connaissance de tout le monde. C’est pour ça que je préconise des écoles de reconnaissance de la diversité en ville, il y en a une en fonction à Viry-Châtillon. Simplement pour mettre les gens en capacité de nommer leur environnement, mettre un nom sur telle ou telle espèce. Ce qui a un nom existe, est respectable. Ce qui n’a pas de nom n’existe pas et peut être détruit facilement. Donc nommer est très important. Accroître la connaissance sur un terrain comme celui-ci, ça joue un rôle de protection de l’environnement. Mais accroître la connaissance en général est aussi important, c’est-à-dire mettre les gens, y compris les plus démunis, en situation de comprendre le lieu où ils vivent, la société dans laquelle ils sont, l’état de l’environnement et de la planète en général, pour les amener à prendre une décision en connaissance de cause.
Moi je rêve de la ville recyclable, de l’architecture recyclable… Vous qui êtes architecte, qu’est-ce que serait une maison recyclable entièrement? ça pose le problème de l’absence de traces. Si on ne laisse pas de traces, on fait disparaître l’histoire. C’est à la fois presque inacceptable et en même temps très intéressant. Les Aborigènes australiens n’ont pas laissé de traces. Leur culture est immatérielle. Je ne sais pas si nous devons nous diriger vers cette question-là, mais ce n’est pas inintéressant d’y réfléchir. Toutes ces questions peuvent être débattues à travers les potagers d’Aubervilliers.

MP  J’ai fait un projet de recherche en Amazonie, dans l’état d’Acre. On y trouve des «réserves d’extraction», c’est-à-dire des territoires autonomes dans la forêt, des zones de nature protégées, contrôlées et entretenues par les communautés qui y vivent. Le développement d’une culture autonome durable et d’un mode de vie basé sur les ressources de la forêt s’accompagne d’une idée de partage. Je m’intéresse à la manière dont les gens articulent la question du vivre-ensemble. Cela me fait penser à l’importance du mouvement des kibboutz aux débuts d’Israël. Les Juifs d’Europe de l’Est venus s’installer en Israël provenaient des villes. En Palestine, ils se sont mis à jardiner avec presque aucune connaissance du jardinage, ce qui n’était pas une entreprise aisée. Au-delà du jardinage, leur manière d’envisager la société est très intéressante, avec le refus de la propriété privée, le désir de partager, de vivre ensemble d’une autre façon. C’est un mouvement très important par sa façon consciente d’envisager le futur. Trente ans plus tard, le gouvernement de droite arrivé au pouvoir en Israël a cessé de subventionner les kibboutz, et ils ont du s’adapter à l’économie, qui a mené au déclin du mouvement des kibboutz. Mais apparaissent maintenant des kibboutz urbains, qui proposent des manières de vivre la ville en partageant par exemple les jardins d’enfants, les voitures, les machines à laver...

GR  Un usage collectif des ressources.

MP  Oui, ce qui m’inspire dans ces kibboutz urbains, c’est que leur forme est similaire à celle des coopératives d’habitats en Europe. Ces deux types d’initiatives montrent que la société se sent concernée par le partage des ressources. La différence avec les collectifs des années 60 c’est qu’aujourd’hui les efforts sont plus terre-à-terre, en réponse à la réalité de notre époque aussi. Il me semble très important que les sociétés visualisent un futur. C’est pourquoi nous nous intéressons beaucoup à Aubervilliers, où cette réflexion existe et où nous espérons que la Semeuse, par l’intermédiaire du rapport à la nature, puisse faciliter cette articulation.

GC  Pouvez-vous m’en dire plus sur ce projet à Acre ?

MP  Oui, il existe un texte, disponible sur e-flux journal, «New Territories in Acre and why they matter» . Je suis allée dans l’état d’Acre à l’invitation de la Biennale de Sao Paulo en 2006. C’est un territoire éloigné de tout, à la frontière de la Bolivie et du Pérou, mais politiquement très articulé. Marina Silva, la précédente ministre de l’environnement, en est originaire, de même que Chico Mendes. Là-bas, j’ai aussi pu envisager un futur possible: le gouvernement de l’état d’Acre a distribué la moitié de ses terres à des communautés vivant en autonomie dans la forêt. Si ces communautés peuvent survivre dans la forêt, disent-ils, la forêt survivra aussi. On devrait appliquer cela aux villes: si les gens survivent dans les villes, les villes survivront. La question est simple, il s’agit toujours de survie.
Je voulais rendre visite à la tribu indienne Ashaninka, mais je n’y ai pas été autorisée, car ils sont protecteurs de leurs connaissances et de leur territoire. C’est très intéressant. Cet équilibre entre le vivre-ensemble et la nécessité de protéger le savoir de leur communauté des étrangers. A Acre, le gouvernement et les communautés travaillent ensemble. Le gouvernement accepte l’autonomie et les valeurs de ces communautés. Une telle chose serait-elle possible à Aubervilliers?

GR  Il faut aussi que les gens qui ont l’habitude d’être gouvernés prennent conscience de leur propre pouvoir public, des manières de s’organiser. Le simple fait de créer un jardin en se basant sur des ressources locales propose un dessein pour la société, au lieu que ce soit l’inverse, qu’on essaye de faire rentrer les gens dans une société dessinée pour eux à l’avance. Cela implique un changement dans les mentalités de gens qui ont l’habitude qu’on leur dise ce qui est bien ou mal.

MP  On en revient à La Semeuse. Des initiatives de ce genre peuvent faire évoluer le point de vue des gouvernants. Le changement est nécessaire, mais pour l’instant il découle davantage d’une confrontation que d’un désir de travailler ensemble.

GC  Il y a un exemple très intéressant qui montre que l’auto-organisation peut aussi se faire en dialogue avec les gouvernants. Au Pérou ou en Equateur, il y a un territoire indien sur un endroit où il y a du pétrole. Les Indiens ont refusé l’extraction du pétrole pour protéger la forêt et le pays demande que la communauté internationale les aide. Les Indiens ont passé un accord avec le gouvernement, contre les profits financiers liés au pétrole. C’est la première fois qu’une telle chose arrive.

MP  Cela met en lumière la question de la protection des territoires. Le modèle des « réserves d’extraction » d’Acre est complètement différent de celui des communautés fermées. C’est une forme d’organisation démocratique et participative où l’on prend en charge sa propre protection. C’est un modèle organique, à l’inverse des communautés fermées où la sécurité du territoire dépend de leur capacité à payer pour la sécurité ou pas.

GR  Cela me fait penser à l’affaire Monsanto de cet été. Le ministère de l’environnement indien et l’Etat indien ont attaqué Monsanto en justice pour avoir breveté une variété d’aubergine locale. C’est assez énorme, un état qui attaque une multinationale…

GC  Le grand rapt de Nagoya est aussi à approfondir, à mon avis. En octobre 2010 a eu lieu à Nagoya, au Japon, une réunion sur l’écologie et la diversité rassemblant rassemblant plus de 190 pays à l’exception des Etats-Unis, réunion visant à adopter une stratégie pour freiner l’érosion de la diversité sur la planète. Elle faisait suite à celle de Copenhague, qui  avait été un désastre. Ces pays se sont tous mis d’accord, ce qui est très suspect. Les Accords de Nagoya, c’est le partage du bénéfice de la commercialisation de la diversité dans chaque pays. Le protocole obtenu (discuté depuis 8 ans avant ces accords) organise le partage des bénéfices tirés par les industries de la pharmacie et de la cosmétique à partir des ressources génétiques des pays du sud, ça passe par le brevetage, c’est dangereux. Par conséquent, le mouvement des Semeurs volontaires et toutes les actions qui se font pour le maintien de la diversité des semences hors marché, face à ça, c’est très important. Aujourd’hui il suffit de dire: «je brevette le principe actif de cette orchidée, elle est à moi, et plus personne n’a le droit de s’en servir»! L’homologation d’une semence coûte 200000 euros. Qui peut s’offrir ça, hormis les grosses compagnies?

GR  Nous avons évoqué ces questions lors du dernier Mardi de La Semeuse, de la nécessité de préserver une grande variété de graines pour préparer le changement climatique, par exemple. Nous avons parlé du brevetage, à travers l’exemple du purin d’orties.

GC  Oui, il est interdit d’utiliser et de vendre du purin d’orties en France, même si le gouvernement prétend accepter cette possibilité, car il figure sur une liste de produits phytopharmaceutiques interdits par l’Union Européenne. Les amendements de la loi d’orientation agricole ne servent à rien, car un produit interdit en Europe est forcément interdit en France. Il faudrait le faire sortir de cette catégorie. Cela dit il y a maintenant la volonté de faire passer ce genre de loi pour les tisanes… En réalité, on sent bien que toutes ces lois sont destinées à lutter contre la gratuité.

MP  C’est vrai. Mais ce mouvement des jardins partagés dans les villes est un moyen, inconscient peut-être, de trouver des alternatives à cela, de promouvoir la décroissance.

GC  Mais tout le monde n’a pas accès à la terre. Et toutes les municipalités ne sont pas d’accord pour donner accès, agrandir les jardins familiaux ou créer plus de jardins partagés.

MP  Ou pour transformer les espaces publics en espaces communautaires, c’est ça que les gens veulent réellement. Car l’espace public appartient…

GC  … à personne!

MP  … ou à cette vision du XXème siècle de l’égalité pour tous mais qui produit parfois des no man’s land

GC  … que personne ne peut utiliser vraiment. On ne peut pas planter de pommes de terre dans un espace public!

GR  Hier, avec mes étudiants, nous sommes allés visiter un jardin particulier qu’ils sont en charge de redessiner. Un autre professeur présent a jugé qu’il n’y avait rien à garder dans ce jardin et qu’on ne pouvait pas faire le projet car il n’y avait pas assez d’argent pour couper les arbres, déplacer la terre… J’ai dit aux étudiants: «Non, regardez, on peut élaguer ces fusains pour recréer un buisson», etc. Ce rapport à l’argent est profondément ancré dans la culture paysagère, on ne sait plus envisager les choses autrement.

GC  Ce qui est produit par la nature elle-même est gratuit, donc n’a aucune valeur sur le marché tel que le définit la société dans laquelle nous vivons, donc on peut le détruire… Avez-vous vu le film de Marie Tavernier, Délaissé (2009)? Le sujet en est un petit terrain abandonné en bordure du canal de Saint-Denis. Les gens y viennent des alentours, y passer du temps. Parfois quelqu’un coupe l’herbe, mais ce n’est pas très entretenu, c’est vraiment un paysage sauvage, avec des plantes locales qui poussent n’importe comment. Il y a un espace de jeux pour les enfants, très rustique. Le film est une série d’interviews. Les gens racontent pourquoi ils viennent là, sans forcément trouver les mots mais on comprend qu’ils s’y sentent bien. C’est très beau. A la fin, un architecte arrive et explique qu’ils vont transformer complètement cet espace et ce paysage, avec des bâtiments, une aire normalisée pour les enfants et «de vrais arbres»!

MP  C’est toujours la même chose avec les plans de développement: en déplaçant les populations, on ne fait que déplacer les problèmes. Aujourd’hui beaucoup de gens refusent de bouger, à Aubervilliers c’est la même chose. On veut imaginer un futur durable à l’endroit où l’on vit.

GR  Nous voudrions aborder un dernier point avant de finir, autour de la notion de plantes indigènes. Il existe un parallèle intéressant entre les plantes et les humains, le fait que les plantes n’ont pas de frontières, elles vont et viennent librement. Mais en botanique il existe aussi une volonté de contrôler. Il y a les bonnes plantes qui sont de là et qu’on a le droit de garder, et puis il y a celles qu’on ne peut pas garder. Le sous-titre de La Semeuse,  «le devenir indigène», pose la question de savoir à quel moment une plante devient indigène. Le fameux chou d’Aubervilliers, par exemple, dont les jardiniers sont très fiers, est originaire de Milan. La plus grosse production d’oignons des Vertus, créé sur la plaine maraîchère des Vertus à Aubervilliers, a lieu au Mali. Y a-t-il une date limite pour considérer une plante comme indigène?

GC  Moi je ne veux plus les utiliser ces mots-là. Un discours qui sépare les catégories, les plantes, les êtres humains, les animaux en indigènes ou exogènes est un discours suspect qui vise à éradiquer l’exogène, en conservant un ensemble historiquement accepté et qui ne devrait pas bouger. C’est la négation de la prise en compte de l’évolution, des possibilités de changement, d’interprétation, qui viennent très souvent de la rencontre. Tous les jours la vie invente, un jardinier le sait. La fixité n’a aucun sens biologique et donc écologique. L’écologie, c’est l’étude des relations entre les êtres vivants, ça n’est pas le principe de ceux qui sont bons et ceux qui sont mauvais, toute vision manichéenne est à la fois dangereuse et hors de la réalité biologique. La science écologique est une science de la dynamique des choses. Au lieu de dire qu’il y a des bonnes et des mauvaises herbes, il vaut mieux dire qu’il y a des herbes. On voit celles dont on peut faire quelque chose, mais les autres ne sont pas mauvaises pour autant. C’est compliqué parce qu’il y a des plantes qui posent des problèmes. Dans un espace très circonscrit, une plante peut prendre toute la place. Alors si on envie d’avoir plusieurs choses, il faut intervenir. Ça s’appelle du jardinage, ce n’est pas forcément de l’éradication. Moi, je jardine la grande berce du Caucase. C’est une plante envahissante, j’évite qu’elle s’étende mais je ne l’éradique pas.

GR  Il y a un parallèle dans le lexique utilisé. Je suis choqué de la violence des termes utilisés par les scientifiques pour décrire la nature: «ce n’est pas bon», «ça doit être détruit», «exterminé». La réponse se trouve dans l’enseignement, apprendre aux gens à regarder les choses, à travailler avec elle.

MP  C’est tout l’enjeu de La Semeuse, de provoquer une prise de conscience. Le projet est né à un moment particulier, où les gens veulent articuler la manière dont ils vivent ensemble grâce à la nature, en cultivant des jardins potagers à Aubervilliers.

GR  Il y a aussi l’idée que la simplicité peut avoir un poids politique.

MP  La Semeuse plante des graines pour le futur.


Entretien publié dans le Journal des Laboratoires, janv-avril 2012

* Entretien réalisé le 4 octobre 2011 à Paris.


¹ Créée en 1935 sur la commune d’Aubervilliers, au cœur d’un paysage urbain très dense, la Société des Jardins Ouvriers des Vertus gère 85 parcelles de jardins potagers sur un territoire de plus de 2,5 hectares. Lieu de culture potagère et populaire, ces jardins témoignent, à leur façon, de l’histoire ouvrière de la Seine Saint-Denis.


² Créé en 2008, les Semeurs volontaires est un mouvement favorisant les échanges gratuits et la plantation dans les espaces privés mais également publics de semences interdites à la commercialisation et communément appelées semences paysannes.


³ Association créée en janvier 2009 à Aubervilliers autour d'un jardin partagé situé dans le quartier Villette-Quatre Chemins.