illegal_cinema #5

Séance programmée et animée par Bojana Cvejić, musicologue, philosophe et dramaturge:

L’école des pickpockets (Sven Augustijnen, Belgique, 2000, 52 min.)
Film qui situe sa forme entre le documentaire et la fiction, dans lequel deux voleurs professionnels sont amenés à réaliser une master-class sur l'art du "pickpocketisme" face à la caméra.
+
Johan (Sven Augustijnen, Belgique, 2001, 23 min.)
Documentaire tourné pendant la rencontre entre un patient aphasique et un thérapeute de la parole.

Le réalisateur, Sven Augustijnen, est un vidéaste, habitant et travaillant à Bruxelles.


"Le Surréalisme pratique du pouvoir", par Jan Verwoert (A Prior #4, 2007)

Dans ses vidéos, Augustijnen a développé une manière particulière de montrer la parole. Vous pourriez être tenté d’appeler ses films des documentaires, parce qu’ils présentent la manière dont un sujet ou un groupe de personnes parlent de leur travail et de leurs obsessions, ou plutôt dont ils font leur travail et expriment leurs idées fixes dans leur vie quotidienne. Cependant, le terme de “documentaire” est trompeur dans ce cas puisqu'il ne s’agit pas tant pour Augustijnen de documenter la façon dont ces personnes parlent mais de libérer  leur discours à travers son propre travail. Quand la caméra est déclenchée, c’est comme si une valve s’ouvrait et que les mots s'en écoulaient. Ce flot de paroles est tellement séduisant qu’il absorbe rapidement toute l‘attention. En écoutant ce qui se dit, le spectateur se retrouve plongé dans le flux sonore incessant des mots qui tournent sur eux-mêmes. Pourtant, comme dans tout état d’absorption, la perception des détails formels et des événements périphériques est accrue. On commence à observer les particularités de la sonorité des mots et du langage corporel de l’orateur. Dans ces conditions, on ne peut manquer de remarquer toutes les petites choses qui surgissent derrière son dos...
...Le réalisme extrême des travaux d’Augustijnen repose ainsi dans l’acuité avec laquelle il révèle le surréalisme inhérent aux nombreuses manières dont les gens parlent pour obtenir quelque chose, dont leur parole détourne l’attention de leurs actions ou annonce ce qu'ils pourraient ou aimeraient faire par le fait de ne pas en parler du tout et sans jamais cesser de parler pour autant. Son approche est d’un réalisme extrême en ce qu’elle déconnecte son analyse des modes de travail des questions de croyance. On juge d’ordinaire la valeur de vérité d’une itération sur la base de notre foi (ou absence de foi) en l’orateur. C’est pourquoi la recherche d’orateurs crédibles et l’élaboration de modes de présentation qui persuadent le spectateur de la véracité de leurs affirmations a toujours été une préoccupation majeure du genre documentaire. De même, la presse comme les individus aiment à juger les politiciens sur la crédibilité ou l’absence de crédibilité de leur discours, et donc de leur personne. Dans ses travaux, Augustijnen court-circuite et dépasse cette façon de penser : en montrant des orateurs desquels il serait absurde de se demander si ils font ce qu'ils disent, puisque parler est leur activité principale. Ainsi suffit-il d’apprendre à voir ce qui s’expose dans et par leur discours pour saisir le lien secret entre leurs paroles et leur profession.