CONVERSATION I.
playing (in the) Dark Matter Cinema
Mathilde Villeneuve et Graeme Thomson et Silvia Maglioni
Mathilde Villeneuve : Votre résidence common infra/ctions aux Laboratoires d’Aubervilliers a débuté en novembre 2015. Votre recherche se déploie par ramifications, selon des formes et des cadences multiples, circulant à travers différents langages (sonores, visuels, textuels) mais qui tous tendent vers le lieu de l’« infra ». Que recouvre cette notion dans votre pratique ? De quelle manière advient-elle ? Comment, ou vis à vis de quoi, prend-elle position ? Désigne-t-elle des formes instables (parce que non opérantes, non communicantes, anti spectaculaires) qui puissent se reconfigurer, muter, se déplacer ?
Graeme Thomson : L’usage le plus fréquent du terme « infra » se trouve dans le terme « infrastructure », défini comme suit : les fondations sous-jacentes ou les structures de base d’un système ou d’une organisation ; l’ensemble des composants physiques de systèmes interconnectés fournissant les marchandises et les services essentiels au maintien et à l’amélioration des conditions de vie sociales. Ce qui signifie que l’ infra est habituellement pris dans un mouvement censé maintenir ou perfectionner la reproduction des plus grandes structures qu’il sous-tend.
Mais nous pouvons choisir de renverser la trajectoire et nous diriger vers un « infra » (en deçà ou au-delà) qui serait capable de nous faire gagner de la distance, voire même de nous écarter de ces types de structures et de leurs effets, en ouvrant (ou, dirions-nous, en dépliant et propageant) le territoire de l’ « infra » lui-même, afin que ce dernier puisse être expérimenté, pensé et peut-être même habité. Étant toujours en deçà d’un niveau donné, l’ « infra » est potentiellement ce qui résiste ou est incompatible avec l’idée de mesure. Mais nous pouvons aller plus loin et dire que c’est incompatible avec l’idée de structure, si bien que parler d’infrastructure devient une oxymore. L’ « infra » est précisément l’endroit où la structure est la plus encline à être minée et décomposée.
Duchamp spéculait sur ce qu’il appelait l’ « infra-mince » en tant que zone de possible, un espace poétique d’indétermination. S’il fournissait un grand nombre d’exemples intéressants (comme le « porteur d’ombres »), il n’alla pas jusqu’à formuler l’hypothèse d’une dimension politique de l’ « infra » en tant qu’espace de résistance aux structures et, plus généralement, à l’objectivisation. Peut-être parce que c’est le genre de postures dangereuses qui risque de nous replonger dans les macro catégories et les oppositions linguistiques maladroites desquelles nous essayions de nous éloigner. Donc, plutôt que de dire que l’infra est politique, il serait plus juste de considérer les manières selon lesquelles la politique peut fonctionner à un niveau infra.
Silvia Maglioni : L’un de mes exemples favoris de l’infra-mince de Duchamp est “la chaleur d’un siège (qui vient d’être quitté)”. Il y a quelque chose de poétique dans le fait d’essayer de visualiser l’image de la température d’un abandon. Mais ce qu’il y a d’encore plus fascinant, c’est l’idée de doter un objet abandonné, en l’occurrence ici une chaise, de la puissance du possible.
Pour développer cette idée de chaise abandonnée, momentanément privée de sa fonction, on peut revenir à la phénoménologie de l’ « outil cassé », qu’Agamben convoque quand il développe la notion d’inoperosità. Ce qui émerge dans l’expérience (à la fois physique et linguistique) de l’outil cassé ce sont des objets libérés de leur soumission à un usage « normal ». Une sorte de hiatus dans lequel habitude et fonctionnalité sont affectées par des perturbations ouvrant vers un nouvel horizon.
Pour une récente exposition à Zürich, « Shipwreck Study Notes », nous avons trouvé un piano en ruine sur e-bay, une sorte de créature Odradekienne dont tout ce qui restait était la moitié des touches et des marteaux en bois quasi tous déchassés, émettant un son étouffé, quasi inaudible, qui ondulaient sous les doigts. Apparemment inutilisable, abandonné sur le sol de la galerie, le clavier invalide trouva pourtant une nouvelle modalité d’existence lors de l’évènement d’improvisation musicale que nous avons organisé : plusieurs personnes essayèrent de le jouer, découvrant dans ces touches muettes et dans leurs propres gestes, un potentiel insoupçonné et une musique secrète.
Évidemment, en tant que réalisateurs, la chaise de Duchamp pourrait aussi nous faire penser à des fauteuils de cinéma abandonnés (pendant ou après la projection) et à la mémoire des images que la chaleur transporte avec elle…
Le projet à long terme que nous avons conçu autour du scénario de science-fiction non réalisé de Félix Guattari et en particulier autour du personnage principal UIQ, l’Univers Infra-quark (une entité aliène infiniment petite et surtout sans forme) nous a amenés à considérer l’ « infra » en termes de développement de méthode. La manière de la travailler à travers des nombreuses lignes de recherches parallèles est maintenant en train de produire les types d’outils et de formes nécessaires à une propagation. Notre résidence aux Laboratoires d’Aubervilliers nous donne l’opportunité de développer des formes et des idées qui avaient commencé à émerger dans la recherche sur UIQ. Elle nous permet aussi d’expérimenter, ou de fabuler, des situations et des temporalités dans lesquelles ces formes et ces idées peuvent être partagées avec d’autres personnes, avec l’envie que tout soi accordé avec la qualité infra des formes en question, la spécificité de leurs rythmes et de leurs matérialités.
Graeme Thomson : Une autre chose qui nous intéresse quant à cette dimension-infra est la relation au concept de « désœuvrement », qui a été explorée à travers une série d’œuvres, ou projets, qui se défont en se faisant. Défaire l’objet comme moyen de défaire le sujet (et les catégories structurelles par lesquelles les sujets individualisés sont reconnus et évalués en tant que tel, tels que le travail, l’œuvre, l’identité, la productivité). Ceci peut à la fois apparaître dans (in) et entre (fra) différentes œuvres (qui alors peuvent être considérées comme des composantes) d’une infrasphère émergeante, et pourrait affecter pas seulement les nœuds mais aussi les interstices relationnels de réseaux intersubjectifs.
Avec common infra/ctions nous voulons continuer à habiter cet espace-seuil entre des termes tels que œuvre et désœuvrement, faire et défaire, perception et imperceptibilité, propriété et usage.
Nous voulons aussi situer l’infra en relation avec la notion d’infraction (la transgression des règles, des codes ou même des lois). Même si ça sonne un peu de manière contradictoire, nous voudrions considérer la notion d’ « infra/ction » comme une cassure, une minuscule fissure qui inexorablement modifierait la structure, mais sans que ce soit évident ; simplement, à un moment donné, on se rendrait compte qu’un important changement a déjà eu lieu. Pour nous cela implique de repenser et de re-cartographier la temporalité de ce qui pourrait arriver ou échouer pendant le processus. C’est pourquoi nous commençons aussi à penser en termes de distance et de proximité, deux notions complexes qui sont reliées à la fois à l’espace, au temps et au rapport entre ce qui est mesurable et ce qui tourne autour de l’incommensurable, de l’infra-dimension. La distance et la proximité ne peuvent que partiellement être mesurés en termes quantitatifs.
Mathilde Villeneuve : Le 16 février 2016 vous proposiez un événement public aux Laboratoires d’Aubervilliers : la mise en place d’un premier « Comité nocturne », une soirée qui durait que 1h30 (quand le prochain Comité nocturne de juillet s’étendra de minuit à l’aube) et qui s’articulait en deux temps : une lecture collective d’un jeu de cartes de tarot que vous aviez produit (chaque carte contenait un photogramme de film que vous aviez prélevé dans votre riche filmothèque), suivie d’un montage cinéma que vous aviez élaboré à partir de séquences de films existants et accompagné d’un live sonore de Graeme.
Silvia Maglioni : C’était en fait la deuxième fois que nous rassemblions un Comité nocturne. La première fois, c’était à Londres, au Royal College of Art, dans le cadre de la dernière année du programme Curating Contemporary Art Exhibition. Le titre que nous avions donné à ce premier rassemblement était « Ora Serrata: recovered fragments of an unbearable body”. Le contexte de l’exposition était un récit dystopique qui imaginait un temps (2125) où les ressources en matériaux et en stockage numérique seraient devenues insuffisantes et d’où toutes les « activités superflues » auraient été bannies, voire effacées, art et cinéma inclus. « Echo Chamber », le décor théâtral de l’exposition, était conçu comme un bunker où l’art pouvait subrepticement continuer à exister, sans devoir s’épancher dans le monde extérieur. Le Comité nocturne londonien s’est donné rendez-vous en pleine nuit pour voir et discuter des fragments amnésiques de films qui auraient échappé à l’effacement de la mémoire. Ne sachant pas comment ce matériau avait été acquis, ni quand, ni d’où il dérivait, l’objectif du Comité consistait autant à explorer ce que les images avaient pu signifier pour ceux qui les avaient produites que de considérer leurs possibles usages actuels.
Bien que les séquences de film projetés, flottant la nuit, chargeaient intensément l’atmosphère, notre intention de plonger le spectateur dans un état à la fois lucide et hypnagogique ne fut que partiellement satisfaite.
Silvia Maglioni et Graeme Thomson, “Nocturnal Committee Session 24 - Ora Serrata: Recovered Fragments of an Unbearable Body”, Curating Contemporary Art Exhibition 2015, Royal College of Art London, photo courtesy Sofia Akram.
L’expression latine ora serrata réfère à une partie de l’œil située à la frontière entre la rétine et le corps ciliaire, entre voir et ne pas voir. Nous considérons la zone ora serrata comme une espèce d’espace seuil où les séquences de films, alors qu’on se trouve dans un état entre sommeil et réveil, peuvent s’insinuer dans notre inconscient collectif, et ainsi être à la fois vues et non vues. C’est dà dire combien certaines des idées du projet Dark Matter Cinema étaient déjà présentes. Ce qu’il nous manquait alors était l’outil permettant au Comité de décrire et de parler des images et des expériences de façon plus visionnaire, suivant un tempo différent.
Mathilde Villeneuve : Pendant la première partie de la soirée, vous étiez tous les deux assis autour d’une table ronde recouverte d’un drap rouge (la scène était projetée simultanément sur grand écran). Vous avez invité une personne du public à vous rejoindre, à poser une question en tirant les cartes, puis à interpréter avec vous et le public la réponse pourvue par le tirage. Le tarot est alors apparu comme un formidable support à fabulation collective, un outil de transformation des structures habituelles de conversations, amenées désormais à faire un détour par les images découvertes du tarot…Que cherchiez-vous en convoquant la pratique du tarot de Marseille et en rejouant en partie ses codes ?
Silvia Maglioni et Graeme Thomson avec Flavie Pinatel, "Dark Matter Cinema - Nocturnal Committee #1", Les Laboratoires d'Aubervilliers, extrait vidéo.
Graeme Thomson : Notre intérêt pour le tarot date de quand nous étions à Los Angeles, et que nous cherchions et filmions ce qui deviendrait le second mouvement de In Search of UIQ, « Distant Encounters ». Alors que nous improvisions une scène près de Venice Beach, Silvia décida de demander à une médium de lire les cartes pour le film non réalisé de Guattari et l’Univers Infra-quark. Cette demande plongea la femme dans une certaine perplexité, habituée qu’elle était à relier directement sa lecture à la personne se trouvant en face d’elle. Les limites de sa pratique qui apparaissaient alors nous amenèrent repenser les rapports de narration entre le tarot et le cinéma mainstream et aussi sa relation au montage.
Les connections entre les cartes qui sont tirées doivent être interprétées en fonction des écarts qui résident entre elles, sauf que le médium comble ces écarts en s’appuyant sur des formules toutes faites qui peuvent varier légèrement selon les personnes qui consultent. L’arc narratif que le tirage décrit suit quasiment parfaitement les trois actes classiques de la structure d’un scénario conventionnel : situation, conflit, résolution. Comme si les buts à atteindre, les obstacles à surmonter et les solutions à trouver, étaient les seules choses qui puissent nous intéresser ou nous motiver ! Et là pointe le deuxième problème… C’est toujours à propos de toi. Tu n’es pas censé demander une lecture sur quelqu’un d’autre, ou qui concerne plus que tes propres désirs, tes peurs, tes plans, tes espoirs, etc. Or, n’est-ce pas similaire aux stratégies d’interpellations idéologiques du cinéma commercial qui enjoint le spectateur à projeter ses désirs sur un personnage principal, ou dont les désirs sont toujours individualisés à travers une grille narrative typique : soutenir le héros, espérer que l’héroïne trouve l’amour, etc. Cette grille s’appliquerait-elle de la même manière à des entités non-humaines telles que E.T. de Spielberg ou UIQ de Guattari ?
Silvia Maglioni : Oui et qu’est-ce qu’il se passe si tu veux poser une question qui concerne un collectif ou une autre entité non-individualisée ou même non-humaine – une situation politique, un dilemme philosophique ou, comme dans notre cas, le destin d’un film qui n’a jamais été réalisé, un Univers qui n’aurait pas encore été révélé ?
Comme l’une des voix off (ou plutôt, une voix « out ») le dit quelque part dans notre film : « Aller voir une cartomancienne n'était pas dans le scénario. Mais qui d'autre peut prédire le futur niché dans les cartes et les espaces entre les étoiles, obscurs et inexplorés ? Une théorie du montage ? Ou alors un scénario en cours, repris à l'infini à partir de vieilles intrigues, de personnages types ? Étrange comme le regard des étoiles converge vers une seule âme à la fois, chaque destin aussi unique que fatiguant dans sa familiarité... Où se trouve le futur dans tout ça, la catastrophe à laquelle nous prenons tous part ? »
Graeme Thomson : Nous nous sommes à nouveau intéressés au tarot il y a quelques années seulement, alors que nous étions invités à performer Underwritten by Shadows Still et à proposer un workshop pour l’exposition d’Alejandro Jodorowsky au CAPC Bordeaux. L’intérêt de Jodorowsky pour ce sujet et son implication dans la restauration du tarot de Marseille (il a notamment rétabli les couleurs d’origine) nous a fait repenser ses liens au cinéma, au point que nous avons commencé à nous demander si des images de cinéma pourraient fonctionner comme des cartes de tarot.
Pendant le workshop de Dark Matter Cinema, nous avons fini par donner place à une expérimentation collective. Nous avons commencé par regarder des extraits de films que nous avions choisis avec des commissaires d’exposition ayant participé à la table ronde de la veille. À tour de rôle, une personne posait une question et sélectionnait une séquence au hasard parmi les dossiers jpegs projetés sur l’écran, qui était ensuite ouverte à l’interprétation du public. Bien que certaines choses dites étaient intéressantes, l’expérimentation ne marcha pas vraiment pour un certain nombre de raisons. La première était la cinéphilie. Beaucoup de personnes essayaient d’identifier d’où provenaient les extraits de films et les réinséraient dans leur contexte narratif d’origine. La deuxième était que beaucoup des images (collectées lors de recherches rapides sur google) manquaient de singularité. La troisième était qu’il manquait un rituel propre pour encadrer les lectures.
Donc pour common infra/ctions aux Laboratoires, nous avons décidé de créer un vrai jeu de cartes, et de soumettre le choix des images à un examen plus scrupuleux. C’est la notion de punctum de Barthes qui est devenue le principe directeur du Dark Matter Cinema Tarot : le détail, qui apparaît comme une anomalie dans l’image, qui est comme un trou énigmatique dans sa surface informationnelle qui vient piquer le sujet et éveiller ses désirs.
Silvia Maglioni et Graeme Thomson, Dark Matter Cinema Tarot XX,
photo: courtesy des artistes.
En outre, on avait deux objectifs : le premier était de trouver un usage pour les images cinématographiques qui puisse être « politiquement thérapeutique » (en résonance avec certaines revendications de Jodorowski vis à vis du tarot) et de le faire de manière à ce que les gens puissent s’engager collectivement. En ce sens ce projet de tarot marque la continuation de notre intérêt pour la création de dispositifs qui favorisent la fabulation du groupe et la convivialité discursive. Des dispositifs qui puissent, à travers une sorte de réfraction fictionnelle et descriptive, nous écarter de nos positions rigides et molaires (je pense…à mon avis…selon moi…), de ce que nous pensons déjà, de ce qui a tendance à bloquer ou atrophier une discussion. Le deuxième était de repenser comment le tarot pouvait fonctionner en changeant sa structure et son symbolisme figuratif. Nous avons choisi d’utiliser le cinéma - un art des masses et des multiplicités - pour abolir la hiérarchie entre l’Arcane majeur et mineur. Nous avons remplacé toutes les cartes par des photogrammes de films dont les composantes, comme Guattari le note sur le cinéma en général, résistent à la hiérarchisation sémiotique.
Silvia Maglioni : Ce qui nous ramène à une autre caractéristique de l’infra: elle gît du côté du mineur, et ceci est important pour nos recherches liées au langage et à son désapprentissage. En choisissant et en numérotant (à travers un processus numérologique labyrinthique !) les photogrammes pour nos cartes, nous avons décidé que toutes les cartes seraient mineures mais dotées de pouvoirs majeurs, de sorte qu’elles puissent faire infraction dans l’imaginaire quotidien et les questions qu’il pose. Pour nous, le cinéma c’est précisément cela, le site de l’émergence d’une image mineure, qui si on parle selon les termes du tarot, investit les aspects les plus banals de l’Arcane mineur avec la force symbolique énigmatique de la Majeure.
Extraits de leurs contextes narratifs, ces instants de cinéma arrêtés commencent à fonctionner de manière autonome. À chaque tirage de carte ils entrent dans de nouvelles constellations, correspondances, dichotomies et alliances que le Comité nocturne révèle, lui-même étant guidé par la question posée. Peut-être que nous essayons de ressusciter des anciennes formes traditionnelles de contes oraux (storytelling). Mais, les mots mènent-ils, ou suivent-ils, les images somnambules à travers les plis du temps ?
Nous ne considérons pas le DMC Tarot comme un dispositif post-cinéma. Ce serait plutôt une vie quantique et parallèle de l’image en mouvement. Nous continuons à faire des films et nous adorons aller au cinéma. Il n’y a rien de plus excitant que de voir un bon film projeté sur un écran dans le noir total, qui t’absorbe jusqu’à une partielle « aphanisis ». Peut-être que priver le film de son aura et le rendre à un usage commun est une sorte de profanation. Mais, comme le dit Agamben, la profanation à travers l’usage peut être une manière de restaurer la dimension sacrée et vitale de notre relation aux choses, qui a tendance à disparaitre au profit d’une banale consommation. Il s’agit de retrouver un peu du mystère et de la magie de l’image, ce qui me semble quelque part comme revenir aux origines du cinéma.
Graeme Thomson : Cet « usage » que nous avons fait du cinéma est pourtant quelque peu paradoxal. D’un côté c'est grâce au fait que les films aujourd’hui sont privés de leur élément rituel et quasi religieux, qu’ils peuvent être vus et revus, édités, manipulés, montés en utilisant des logiciels de base que la fabrication du DMC tarot était possible. D’un autre côté, nous avons emprunté à un rituel provenant d’une autre sphère, celle de la cartomancie, qui a réinjecté un élément de croyance dans le pouvoir divinatoire du cinéma. Et cet élément rituel du tarot est extrêmement important, la manière dont tu coupes, mélanges, étales les cartes, le temps que tu prends à les choisir. Comme le disait Pascal, on doit agir comme si on y croyait déjà. Participe au rituel – et la croyance, ou l’affect de la croyance, viendra d’elle-même.
Mathilde Villeneuve : Comme toute pratique collective, elle dépend de plusieurs éléments non maîtrisables. En l’occurrence, pendant la séance DMC Tarot, de la nature des questions qui allaient être posées, du tirage des cartes, des réactions et des élucubrations du public ensuite. L’expérience on la sentait fragile, parce qu’en attente d’être prise en charge collectivement.
Ce qui s’est passé. Étonnamment le public s’est autorisé de suite à proposer des interprétations. La question a porté sur la continuité ou l’arrêt de l’état d’urgence (une question politique d’actualité quand votre crainte était que les questions soient à l’inverse trop tournées vers l’intimité des spectateurs). La preuve que le dispositif a été en un sens « effectif » ?
Un autre signe de la réussite de cette soirée est pour moi la qualité d’attention que la première partie (la lecture tarot) a su construire en vue de la deuxième : une multiplicité de liens semblaient se nouer entre les cartes de la première partie de la soirée et les extraits de films de la deuxième, d’associations entre les lectures proposées en amont et les images en mouvement du montage cinéma. Je me rappelle ces échos entre les traversées de lieu désert et la question des migrants (qui étaient la deuxième question posée au tarot) ou encore des espaces fragmentés qui apparaissaient dans de nombreuses images (corps parcellaires, dédoublés dans des miroirs, dans la vitre d’un train, etc.)...
J’ai eu l’impression que vous étiez parvenus, en créant les conditions de ce qu’on pourrait nommer « un vertige », à ouvrir à un champ de signification plus ample, à faire que nous laissions se tisser des relations invisibles, quand bien même elles n’étaient pas énonçables. Nous étions désormais en mesure d’observer des similitudes, des rebondissements entre les mots et les choses, des accroches de sens ou de formes. On se trouvait au-delà d’une situation dichotomique entre croyance vs pensée rationnelle, mais dans un espace d’ouverture et de gonflement de l’imagination, d’affinement de nos perceptions et d’assouplissement de nos attentions. Est-ce cela que vous nommez des « visions » ? Ces états de conscience dont la délicatesse, l’abandon et l’acuité permettent de produire d’autres langages ?
Silvia Maglioni and Graeme Thomson, "Dark Matter Cinema - Nocturnal Committee #1", Les Laboratoires d'Aubervilliers, video capture courtesy the artists
Graeme Thomson : Notre société semble laisser peu de place aux visions, encore moins à leur mise en partage. Avoir des visions (entendre des voix par exemple), est habituellement perçu comme le signe d’une pathologie, un désordre neurodégénératif, quelque chose à dissimuler. Les lieux pour transmettre et partager ces expériences de vision sont extrêmement limités et circonscrits. Tu pourras toujours raconter un rêve particulièrement troublant à ton psychanalyste ou à un ami proche qui essaiera d’en tirer du sens. Ou, si tu es artiste, tu essaieras probablement de canaliser ta vision dans une œuvre, mais le risque est que cette dernière soit transformée par la médiation, l’exégèse et les procédures bureaucratiques en un objet inoffensif et déterminé. Un de nos intérêts actuels réside dans la création de conditions et de dispositifs (dans l’esprit des « outils de convivialité » d’Ivan Illich) pour le partage, la circulation et l’usage de visions, qui seraient comme des contagions bénignes, voire même plutôt guérissantes.
Cela vient encore du film de science-fiction non réalisé de Guattari, Un amour d’UIQ. De la même manière que le scénario nous avait affectés d’une manière particulière, comme s’il avait été projeté dans un espace mental, comme s’il avait été un « cinéma du cerveau », nous nous demandions comment cela pourrait contaminer d’autres personnes et comment à leur tour ces dernières pourraient propager des visions que le script provoquerait en eux.
Pourquoi avons-nous prêté tellement attention à ce film-ci alors que des milliers de scripts non réalisés disparaissent chaque jour, abandonnés par les réalisateurs à force de désespoir ou oubliés dans les fonds de tiroirs des producteurs ? Peut-être parce que, racontant l’histoire de l’avènement d'un Univers (l’Univers Infra-quark), ce film touche à une question cinématographique vitale mais fréquemment ignorée – le fait que tout film devrait créer son propre univers, contenir ses propres lois et secrets, ses propres rapports de force. Les films que nous aimons et dont nous nous souvenons sont comme des entités vivantes, ou des pays que nous visitons ; ils sont toujours la promesse d’y trouver quelque chose que nous n’avons pas encore vu ni compris. C’est en ce sens qu’ils sont des univers.
Ainsi le film de Guattari nous a donné l’occasion d’expérimenter un autre type de conversation collective, basée non pas sur la connaissance (qui tend rapidement à devenir un vecteur de pouvoir et de division) mais sur le non-savoir, la vision, la spéculation, et pas seulement à propos du film mais aussi de l’univers qu’il promet de révéler. Nous avons appelé ces conversations autour du film non réalisé de Guattari des « seeances » - terme qui renvoie au spiritisme en tant qu’il est un ingrédient de la soupe primaire culturelle de laquelle émergent le cinéma et la croyance dans le cinéma, à la différence près qu’ici le médium qui reçoit les visions n’est pas une personne mais le groupe entier. Dans un sens, on peut dire que cette dimension collective est déjà présente dans les séances spiritistes, à travers différents rituels censés générer une sorte d’énergie de groupe et de croyance (se tenir les mains autour de la table, etc.) sauf que dans ce cas c’est canalisé vers et à travers la figure du médium qui fonctionne comme une sorte de membrane avec l’au-delà, tel un gardien transcendantal.
Ce que nous voulions c’était aussi aller au-delà du rôle du médium en tant qu’il est une figure ou un relais pour une identification spectaculaire, et transformer l’horizon transcendantal en un champ social poreux de désirs immanents. La grande fragilité des visions qui ne reposent pas sur un savoir peuvent générer une situation où les participants s’entraident pour bâtir à partir de ce qu’ils croient voir. C’est comme la base d’une « communauté qui vient » qui fonctionne à partir d’un constructivisme du moment présent (les visions comme signe et corps d’un film que nous sommes déjà en train de voir, ou que nous commençons à voir) qui est en même temps projeté vers le futur.
Silvia Maglioni : Quelque part, nous pensions déjà à UIQ comme à une sorte de matière noire cinématographique. En partie à cause de la manière dont Guattari répondait dans son script aux films de cette période (les années 80). Un peu comme quelqu’un qui regarderait une machine et imaginerait une manière de la faire mieux fonctionner, presque comme pour la « guérir ». Ou peut-être la ferait-il fonctionner d’une toute autre façon de celle pour laquelle elle était prévue. Mais son film ne fut jamais réalisé. En un certain sens, on fait tous ça : extraire une bonne idée d’un film quelconque, nous demander comment elle aurait pu être développée autrement, ou inventer un univers parallèle dans lequel un autre récit pourrait avoir lieu ou se poursuivre.
Alors qu’avec Un Amour d’UIQ notre focus principal était la part non-réalisée de la matière noire du cinéma, nous avons avec le Tarot étendu nos recherches à toute l’histoire du cinéma. Il n’est plus simplement question d’essayer de voir la vie d’un film qui n'a jamais été tourné, mais de saisir les possibilités non encore révélées dans des films existants, en essayant de découvrir la dimension quantique virtuelle qui habite un photogramme. Comme dans les Tarots divinatoires, la question qu’on pose aux cartes DMC (et donc aux photogrammes de cinéma) et la « séquence » dans laquelle ils apparaissent (qui produit une sorte de montage) peuvent radicalement changer la signification et l'effet d'une image. Arrachés à leurs histoires par le jeu du hasard et de la fatalité, les plus petits détails semblent scintiller de l’aura d’un savoir secret.
Le montage de séquences que nous avons fait pour la deuxième partie de la soirée démarre par un principe que nous avons plus ou moins établi pour l’intégralité de common infra/ctions, soit, une alternance entre contraction et expansion. Là, nous élargissions l’idée de la table, celle où l’on tirait les cartes, à la table de montage, où l’intégralité des séquences (plutôt que des photogrammes) apparaissaient et disparaissaient, émergeaient, ou fondaient les unes dans les autres dans un rythme hypnagogique, proche d’une sorte de somnambulisme, de sleepwalking, ou mieux de sleepwatching, invitant le Comité nocturne à habiter les absences et les trous dans les images, qui pour nous, donnent à voir des régions de la matière noire cinématographique et déplient les plans de son espace et temps intérieur. Je pense que les échos et connexions que tu évoques sont largement dus au pouvoir des visions collectives du Comité nocturne.
Graeme Thomson : Nous avons vu surgir un intéressant mélange de registres cette soirée. La nature ouvertement politique de la première question a instauré une discussion vivante mais j’ai ressenti que c’était d’importance secondaire par rapport à la manière dont la question se reflétait dans les cartes et dont les réponses de l’assemblée du Comité rebondissaient dans les images. Une question personnelle aurait pu s’avérer tout aussi intéressante. La chose importante est ce qu’il se passe au cours du processus de réfraction : quelles sont les faces cachées et possibilités révélées par et dans les cartes ? Des problèmes individuels convergents impliquent déjà une dimension d’énonciation collective de la même manière qu’une situation politique concernant tout le monde peut atteindre les recoins les plus intimes de notre existence.
Ce qui était intéressant pour moi était le fait que plus on regardait les images et considérait les différents vecteurs de forme et de signification qui les connectaient entre eux via la manière dont les cartes avaient été tirées, plus ces derniers semblaient élargir la réponse du Comité nocturne à la question originellement posée, en composant une cartographie complexe. À la fin les lignes de conversation poursuivies sont devenues bien plus souples que ce qu’on aurait pu attendre d’une question d’actualité si chargée et émotionnelle. Et sans aucun doute, cela a modifié aussi la manière dont les gens ont réagi au montage qui a suivi en deuxième partie de soirée.
Mathilde Villeneuve : Il semble que votre relation au cinéma procède à la fois d’une grande connaissance de son histoire et d’une tentative d’étirer et d’exploser son format. Quel est ce « Dark Matter Cinema » que vous désignez et recherchez ?
Graeme Thomson : Par l'agencement de ces trois mots, nous ne voulons pas juste dire la matière noire du cinéma ni référer à un certain type de cinéma qu’on labelliserait « matière noire ». Nous avons tendance à considérer le cinéma dans sa totalité comme matière noire – a dark matter –, à regarder à la fois la relation du cinéma à l’invisible et ce qui reste invisible dedans, ce que nous pourrions nommé son infra-dimension.
Comme le disait Silvia, l’idée du Dark Matter Cinema était déjà présent dans le projet d'UIQ mais elle s’est affinée avec le Comité nocturne, qui, devait consister en un rassemblement de personnes en un espace indéterminé entre un état de sommeil et d’éveil, et fonctionner comme un organisme collectif ou un corps aménageant un espace-temps pour l’épuisement (ce que Jean-Luc Nancy nomme “Tombe de sommeil”), tout en restant vigilant vis à vis de ses propres potentiels d’endormissement. Ce qui veut dire que le Comité nocturne devait encourager une circulation de sommeil d’un genre particulier, un sommeil qui pourrait être défini comme une des propriétés ou impropriétés du cinéma, du moins d’un cinéma considéré dans son état « quantique », entre les cristallisations de la structure et du sens.
La limite interne du cinéma pourrait être désigné comme une sorte de vertige, un désir de tomber dans l’image, avec le risque de perdre complètement conscience, et avec, de perdre l’image elle-même, qui tomberait à son tour dans la perte du dormeur. Comme le dieu grec Hypnos, le film (la caméra, la mise en scène) veille sur le sommeil particulier qu’il induit, mais idéalement il se déplace lui-même vers une zone d’indistinction entre des états actifs et passifs (un passage qui passe). Mais il y a un seuil, ou bien une membrane d’échange, où les deux sont maintenus dans une sorte de suspension, ce qui est un lieu très intéressant où se trouver tant dans la durée (soit, le lieu ultime où se tenir avant que le sommeil temporairement perde la possibilité même du lieu et nous plonge avec lui dans une indistinction entre être et non-être). C’est comme se tenir à bord d’un précipice d’ouverture ou de réceptivité à la révélation des possibilités qu’une image contient, dénudée de son identité narrative, peut-être comme un retour à un état d’enfance d’une proto-conscience sensorielle non hiérarchisée. Donc dans ce Comité nocturne on aurait idéalement différents degrés de sommeil et de vigilance interagissant dans une conscience et fatigue réciproques.
Mathilde Villeneuve : Pour rentrer un peu plus dans les détails des matériaux de votre recherche, pourriez-vous décrire la traversée que vous avez menée dans votre filmothèque ? Qu’est-ce qui a motivé le choix de tel photogramme pour le tarot ou de telle séquence de film pour votre montage ? Aussi, comment s’est établi le lien entre le montage visuel et sonore ?
Graeme Thomson : Comme nous l’avons dit, l’un de nos principes directeurs était de trouver le puncta cinématographique dans les films que nous aimions et que nous connaissions, ou croyons connaître, et qui auraient mystérieusement influencé notre propre trajectoire cinématographique, un photogramme ou une séquence qui d’une certaine façon excède le cadre narratif du film et en même temps peut être considérée comme une « image quelconque », une pure singularité prise dans un jeu entre contingence et fatalité. De tels instants sont comme des aperçus de l’infra-cinéma, l’invisible composant du visible, ce que nous ne voyons pas dans ce que nous voyons ou l’impensé dans ce que nous pensons voir.
Nous sommes fascinés par ce potentiel dans le cinéma, ce qui est désigné par le nom mémorable de l’hôtel dans The Shining : The Overlook. Le cinéma est toujours une question de ce double sens de overlooking, de voir trop ou trop peu, et souvent les deux en même temps. Il y a aussi cette tendance que nous avons à ne pas voir les films de façon isolée mais comme des constellations reliées les unes aux autres ou comme les chambres d’une maison hantée (comme the House of Fiction de H. James) connectées via des portes secrètes et des passages secrets. De même, le mixage son que j’ai fait pour la soirée DMC a été conçu comme un déplacement continu où les pièces individuelles perdent leur identité aux frontières où elles se chevauchent et se modulent les unes les autres. Travaillant à la radio, ou comme DJ, ou même quand je joue de la musique à la maison, plusieurs pièces ensemble dans différents espaces, j’ai toujours été attiré par ces interzones soniques et les étonnantes textures harmoniques que tu peux obtenir parfois, des choses qu’on trouverait jamais dans une seule composition, même la plus complexe. Les possibilités combinatoires de cette infra-musique interstitielle semblent infinies.
Mathilde Villeneuve : J’aimerais aussi vous entendre sur le caractère collectif de votre pratique. À la fois vous travaillez beaucoup tous les deux, votre recherche s’appuie sur un grand nombre d’objets de connaissance (des écrits, des films, de la musique) mais tout en créant les conditions de partage de cette recherche, comme en témoigne les différents rhizomes de votre projet « common infra/ctions » (comme en témoignent les titres eux-mêmes : Temps donnés, Fiches de convivialité, Centre de désapprentissage de la langue…) Cette mise en collectif bâtit la dimension éminemment politique de votre travail. La migration successive et la contagion constituent-elles pour vous des modes de vivre ensemble comme l’est une langue qui se forme en se défaisant et avance par contamination?
Silvia Maglioni : C’est une description tout à fait juste… Pour nous la question est de savoir comment proposer des manières d’être ensemble à travers des dispositifs qui parviennent à créer une véritable alternative à certaines formes d'art post-relationel et participatif, ces « paradis artificiels » avec leurs mots d'ordre (Communauté, Démocratie, Participation !) qui peuvent être extrêmement problématiques. En ce sens nous trouvons que la réflexion de Suely Rolnik sur Lygia Clark et l’importance de contaminer l’institution avec une généreuse dose de subtile puissance poétique (pour prolonger l’héritage radical de Guattari sur la schizoanalysis) constitue un antidote au populisme grandissant de beaucoup des programmations artistiques et culturelles. Encore une fois, on revient à l’outil cassé, un art mineur qui dans son bégaiement, produirait de nouvelles proto-subjectivités à travers l’invention de formes et de dispositifs de retrait et de révocation.
Il n’y a pas de communauté constituée. S’il y a une affirmation d’une certaine idée de la communauté, elle est davantage de l’ordre de la communauté sans communauté, une communauté sans langage partagé ou code figé, plein de trous et de distances, une communauté qui vient des toujours-déjà-exclus, partageant leur échec et refus à s’adapter aux modèles qui sont offerts à leur consommation participative. Si on prend cette notion de communauté de singularités, d’appartenance sans identité, cela exige de travailler paradoxalement depuis la notion de l’impossibilité de collectivité et de poser la question de la non représentabilité puisqu’elle ne peut se présenter soi-même que ponctuellement. C’est pour ça que c’est important de transformer les conditions d’être ensemble.
Nous avons besoin d’environnements où les gens commencent à sentir différemment l’espace et la présence de chacun, qui résultent de changements de ton de voix, de cadence, de rythme de parole, de perception du temps tout autant que d’acceptation de silence et de co-présence d’une polyvocalité sémiotique non discursive. Un déplacement dans l’atmosphère, même s’il est difficile de dire exactement en quoi cela consiste.
Graeme Thomson : Ici, la question du rythme est particulièrement importante, forgeant les conditions pour une idiorythmie bienveillante. Le silence est extrêmement intéressant depuis cette perspective. La possibilité d’être ensemble en silence. Cela semble pouvoir avoir lieu que lorsqu’il y a un centre d’attention commun ou un élément rituel (un spectacle, un groupe de méditation, une minute de silence officielle lors des deuils nationaux). Mais il faudrait plutôt appréhender la possibilité d’un silence entre les gens comme d’un espace-temps potentiel d’intensités variables qui créé des ouvertures à différentes sortes d’infra-ruptures ou d’infra-férences. Désapprendre nos réponses habituelles et ne jamais prendre comme donné quelque champ intersubjectif qu’il soit.