Cette année, Les Laboratoires d’Aubervilliers reconduisent les ateliers de lecture qui, tous les quinze jours, proposent de mener collectivement recherches et réflexions autour d’une problématique spécifique abordée depuis différentes disciplines (l’art, les sciences humaines, la politique). Ces ateliers participent à la construction du « Printemps des Laboratoires », programmation qui se décline tout au long de l’année via des workshops, tables rondes, projections jusqu’à l’avènement d’un moment public intense. Ce rendez-vous public, qui aura lieu les 4 et 5 juin 2016, en constitue la mise en perspective finale à une échelle internationale. Cette programmation est articulée chaque année autour d’une notion spécifique ; cette année il s’agit de « La psychotropification de la société ».
Cette expression, associant les termes « psychopharmacie » et « tropisme », désigne le mouvement exponentiel de prescriptions et de consommation de médicaments dans le cadre du traitement des troubles mentaux et psychologiques. En pointant ce « tropisme » notre intention est de démontrer que derrière la normalisation de ces prescriptions s’érige une idéologie fascisante qui infiltre et dirige les sociétés occidentales, davantage préoccupées par la liberté d’action à conférer à l’industrie pharmaceutique qu’aux individus qui les composent.
Pour mener à bien cette réflexion collective qui traitera des effets de normalisation sous-tendus derrière le phénomène décrit, de l’état de la psychiatrie actuelle et de la place accordée à la maladie et à la folie dans notre société, nous vous proposons de nous réunir, un jeudi sur deux, à partir du 22 octobre, de 16h à 18h. Un ou plusieurs textes sont proposés et/ou choisi à chaque atelier pour le suivant.
Les dates exactes de ces ateliers sont les suivantes : les jeudi 22 octobre 2015, 5 novembre et 19 novembre 2015, 3 décembre et 17 décembre 2015, 7 janvier et 21 janvier 2016, 4 février et 18 février 2016, 10 mars et 24 mars 2016, et pour finir le jeudi 7 avril 2016.
Jeudi 22 octobre 2015 - Atelier # 1
Nous avons ouvert ce cycle de lectures le jeudi 22 octobre en étudiant deux textes qui se font écho l’un à l’autre. La psychiatrie biologique : une bulle spéculative ?, de François Gonon, neurobiologiste et directeur de recherche CNRS à l’institut des maladies neurodégénératives, université de Bordeaux, qui démontre comment la Recherche (et les politiques qui la financent) s’accroche à une vision génétique et biologique, nécessairement réductrice, et en ce sens dangereuse, de la maladie psychiatrique. Et, d’autre part, Ne tirez pas sur le messager ! Le mouvement international des entendeurs de voix, de Caroline von Taysen, psychologue spécialisée dans les situations de crise à Berlin, qui relate l’histoire d’Intervoice, la communauté internationale des entendeurs de voix, constituée par des gens en désaccord avec le modèle psychiatrique de la soi-disante schizophrénie. Contre les prescriptions neuroleptiques, un nombre important d’entendeurs de voix revendiquent une relation harmonieuse avec “leurs voix”, présentant en cela un lien pertinent avec leur vie.
Jeudi 5 novembre 2015 - Atelier # 2
Au cours de ce second atelier, nous avons étudié en présence de Josep Rafanell i Orra deux passages de son livre En finir avec le capitalisme thérapeutique, soin, politique et communauté : l'introduction de la deuxième partie "En finir avec le capitalisme thérapeutique" ainsi que le chapitre 2 de cette même partie, "Fragments : Le communisme de la guérison".
Jeudi 19 novembre 2015 - Atelier # 3
Ce troisième atelier a été l'occasion de travailler sur deux textes issus de La perte des sens d’Ivan Illich, penseur de l'écologie politique et figure importante de la critique de la société industrielle, en particulier de la contre-productivité. Originellement parus en 1995 et 1998, ces deux textes ont également été publiés dans un recueil posthume en 2004 : « La société amortelle. De la difficulté de mourir de sa propre mort en 1995 » et « Ne nous laissez pas succomber au diagnostic, mais délivrez-nous des maux de la santé ».
Jeudi 3 décembre 2015 - Atelier # 4
Pour ce quatrième atelier de lecture, nous avons discuté de l’étonnant texte Addict - fixions et narcotextes de la philosophe américaine Avital Ronell, paru aux Etats Unis en 1992 sous le titre anglais de Crack Wars : Literature Addiction Mania. La traduction française parue chez Bayard date de 2009. Et avons abordés à travers les extraits choisis, les questions de liberté, d’addiction et d’éthique de la décision. Publié en 1992 aux États-Unis, ce livre s’inscrit en réaction à une situation politique précise : quand, à l’apparition du crack, correspond un ethnocide déclaré. Proclamant avec Walter Benjamin « un droit des nerfs », Avital Ronell répond, énervée, un panaché d'essais philosophiques, d’analyses littéraires et de pièces de théâtre. Un livre kaléidoscope, traversé de voix multiples, qui miment, dans sa forme, le fonctionnement addictif dont il est question.
Jeudi 17 décembre 2015 - Atelier # 5
Ce cinquième atelier a été l'occasion de recevoir le collectif Dingdingdong pour la présentation des deux textes qui ont été étudiés ce jour-là : le manifeste dingdingdong d'une part et le chapitre 7 de l'ouvrage de Vincianne Despret Au bonheur des morts, Récits de ceux qui résistent (paru en 2015 aux éditions La Découverte), intitulé « Faire confiance aux esprits. Enquête sur les modes d'apostrophe », pp. 155 à 180, d'autre part.
Jeudi 7 janvier 2016 - Atelier # 6
Pour inaugurer l'année 2016, ce sixième atelier de lecture s'est attaché à échanger autour du texte de Fernand Deligny L’Arachnéen, afin notamment de mettre à jour ce qu’il a nommé un « réseau de présences » et continuer à écrire au pluriel les modes d’être au monde. Fernand Deligny (1913 -1996), figure importante de l’éducation spécialisée, se dit poète et éthologue. D’Ivan Illich, il reprend l’idée d’une langue vernaculaire, et comme lui s’insurge contre les enfermements causés par les institutions, en l’occurrence celle de la psychiatrie.
Le texte a été introduit par Bertrand Ogilvie, philosophe et psychanalyste, professeur à l'université de Nanterre et directeur de programme au Collège international de Philosophie et qui a signé la postface de L’Arachnéen.
Jeudi 21 janvier 2016 - Atelier # 7
L'atelier de lecture du 21 janvier a été consacré au texte de Tobie Nathan, Nous ne sommes pas seuls au monde, et plus particulièrement le chapitre 2 : « Psychothérapie et politique. Les enjeux théoriques, institutionnels et politiques de l'ethnopsychiatrie ». Tobie Nathan est un important représentant de l’ethnopsychiatrie en France, dont le mouvement a engagé une déconstruction des pratiques psychanalytiques en vue d’accueillir et de soigner des personnes issues de cultures non-occidentales, pour lesquelles les traitements cliniques s’avéraient inopérants (éthiquement et non performants). En ce sens l’ethnopsychiatrie s’inscrit dans une démarche anti-néocoloniale.
Jeudi 4 février 2016 - Atelier # 8
L'atelier de lecture du jeudi 4 février a permis aux participants d'échanger autour du texte de Tim Ingold, Une brève histoire des lignes (Éditions Zones Sensibles, Belgique) et plus particulièrement le chapitre 3 : « Connecter, traverser, longer ». Le texte original de Tim Ingold fut publié en 2007, sous le titre Lines: A Brief History (Éditions du Routledge, UK). Tim Ingold est un anthropologue anglais contemporain (né en 1948) dont les méthodes hors normes, aux frontières de la phénoménologie, des sciences de la nature et des arts, sont autant de manières d’explorer notre environnement. Il pratique l’anthropologie selon les méthodes du métier à tisser.
Jeudi 18 février 2016 - Atelier # 9
En écho au livre étudié lors d’un des précédents ateliers de lecture, et en perspective d’un débat organisé autour des biotechnologies, par la revue invitée Tenons et Mortaises, il a été proposé pour l'atelier de lecture du 18 février, de discuter autour d'extraits de Testo Junkie, un ouvrage que celle qui s’appelle alors encore de son nom d’origine Beatriz Preciado publie en 2008 en Espagne et en France (ouvrage traduit en anglais en 2013). Ce texte, éminemment politique, relate l’expérience de l’auteur s’administrant de la testostérone.
Jeudi 10 mars 2016 - Atelier # 10
À l'occasion de ce dixième atelier, les participants ont échangé autour de l'ouvrage de Jean-François Chevrier publié à L’Arachnéen, L’Hallucination artistique, de William Blake à Sigmar Polke, et plus spécifiquement sur le second chapitre intitulé “Le scandale de l’hallucination et l’expérience mystique”. Ce livre qui propose une histoire de la place de l'hallucination dans l'art et la littérature depuis le début du XIXe siècle, qui marque les débuts de la psychiatrie, jusqu'à nos jours. Étudiée par la psychiatrie comme le phénomène déterminant de la discipline, l’hallucination est l’expérience des ambiguïtés d’une perception altérée par la vision.
Jeudi 24 mars 2016 - Atelier # 11
Pour ce onzième et avant dernier atelier de lecture, nous avons étudié l'ouvrage d'Harold Searles, L'environnement non humain, et plus spécifiquement le chapitre XI intitulé « Projection du moi sur l'environnement non humain, ou incapacité à s'en distinguer ». La traduction française de cette publication est parue chez NRF/Gallimard dans la collection Connaissance de l'inconscient en 1986. Harold Searles, psychiatre et psychalyste américain né en 1918, a travaillé pendant quinze ans à Chesnut Lodge, établissement internationalement connu pour le rôle qu'il a joué dans l'approche psychothérapeutique intensive des schizophrènes.
Jeudi 7 avril 2016 - Atelier # 12
Ce douzième et dernier atelier de lecture a permis de discuter du chapitre 2 – « 1914 Un seul ou plusieurs loups », de Mille plateaux – Capitalisme et schizophrénie 2, livre publié aux Editions de Minuit en 1980. Après les traces d’Inuit déposées dans la neige blanche racontées par Tim Ingold, les trajectoires sans planification et les cartes combinées de Deligny, c’est au tour de Deleuze et Guattari de proposer une trame composée de lignes de fuite et de multiplicités, celles qui s’énonce depuis l’observation des loups. L’occasion d’aborder à nouveau les lieux qu’on habite, les chemins qu’on trace, les distances auxquelles on se tient les uns des autres, nos foules mobiles. Mais aussi de considérer des modes d’existence en deçà ou au-delà de l’individu, dans la rencontre de nos meutes intérieures, dans le faire et le défaire permanent de nos collectivités.
Les textes de cette saison ont été décidés par le groupe et lus en amont de chaque atelier. Ces ateliers gratuits et ouverts à tous, ont eu lieu le jeudi tous les quinze jours de 16h à 18h sur inscription.
Pour obtenir les textes étudiés, les compte-rendus de session, ou vous inscrire, contactez Pierre Simon : p.simon@leslaboratoires.org