Les Laboratoires d’Aubervilliers poursuivent les ateliers de lecture qui, tous les quinze jours, proposent de mener collectivement recherches et réflexions autour d’une problématique spécifique abordée depuis différentes disciplines (l’art, les sciences humaines, la politique). Ces ateliers participent à la construction du « Printemps des Laboratoires », programmation qui se décline tout au long de l’année via des workshops, tables rondes, projections jusqu’à l’avènement d’un moment public intense. Ce rendez-vous public, qui aura lieu en juin 2017, en constitue la mise en perspective finale à une échelle internationale. Cette programmation est articulée chaque année autour d’une notion spécifique ; cette année il s’agit de « Extra Sensory Perception ».
La quatrième édition du Printemps des Laboratoires a ouvert un champ très vaste que nous souhaitons continuer à explorer pour cette nouvelle saison. Sous l’intitulé « ESP (Extra Sensorial Perception) », nous proposons de poursuivre nos réflexions.
Il sera question de comment faire de la place dans nos vies à des voix multiples et contradictoires, à un “Je” non unique, centre de gravité narratif, à des entités non-humaines et autres mondes invisibles, de comment en être remplis sans être assaillis. On se demandera ce que peut être une mystique contemporaine et dans quelle histoire hallucinée, illuminée, visionnaire nous souhaitons nous situer aujourd’hui. On cherchera les méthodes de désindividualisation afin de partager ces visions et de les rendre collectives et habitables.
Atelier # 8
Pour ce huitième atelier de lecture dans le cadre du Printemps des Laboratoires et de l’exploration des perceptions extra sensorielles, nous invitons la réalisatrice et scénariste Yolande Zauberman et la photographe et écrivain Paulina Spiechowicz, co-créatrices du livre Les mots qui nous manquent, paru à l’automne 2016. A travers cette exploration des mots qui manquent à nos langues mais existent dans d’autres, nous faisons l’expérience de l’invisibilité et de la visibilité du langage. Si certains mots existent dans certaines langues pour désigner des perceptions et des émotions, ces perceptions et sensations sont-elles orphelines dès lors que les mots pour les désigner n’existent pas dans notre langue ? Que deviennent-elles alors ? L’invisibilité dans lesquelles ces langues se retrouvent assignées constitue-t-il un autre régime de relation qui s'impose à nous, hors de tout langage ?
« L'idée de ce livre m'est venue en regardant les Indiens monter le long des façades pour nettoyer les vitres des gratte-ciels à New York. Leur tribu ignore le mot « vertige », il manque à leur langue, sa sensation, le concept même. Certains mots sont comme la pomme qu’Eve a offert à Adam, dangereux à connaître. D'autres ouvrent les coeurs. Qu'ils expriment le paradis ou le cauchemar, grâce à eux, on n’est plus tout à fait un étranger. On traverse les frontières de l’intime. Dans l'argot de Rome, « Paccare» c'est s'embrasser passionnément en se touchant, ou voler des bagages dans une voiture sans surveillance. « Twerk », à la Jamaïque, évoque une danse de filles très sensuelle qui incite au sexe. En arabe, « Wiswas » désigne une voix, une obsession qui tourne dans nos têtes et n’en veut plus sortir. Quand on prononce ces deux syllabes en Orient, les regards s’éclairent, les sourires jaillissent. Ces secrets collectifs composés d’un seul mot désignent des sentiments ou des sensations dont on ne savait même pas qu’ils pouvaient être nommés. Ces mots manquants nous grandissent. Ils nous racontent des histoires de tous les jours, des histoires de fête, d'amour ou d'esclavage. Ils repoussent les limites de notre monde et de notre langage. On sent soudain ce que sentent les autres. » - Yolande Zauberman
Yolande Zauberman, née à Paris, est scénariste et réalisatrice de films documentaires et de fiction. Elle aborde le cinéma en travaillant aux côtés d'Amos Gitaï et réalise en 1987 un premier documentaire sur l’apartheid en Afrique du Sud, Classified People qui remporte entre autres le Grand Prix du Festival de Paris et le Bronze Rosa au Festival de Bergame (Italie). Le second, Caste Criminelle (1989), est tourné en Inde, et est sélectionné au Festival de Cannes. Trois ans plus tard, elle signe son premier long métrage de fiction, Moi Ivan, toi Abraham. S’ensuivent les deux films Clubbed to Death (Lola) (1996) et La guerre à Paris (2001). Elle signe également l’idée originale des films Tanguy (2001) et Agathe Cléry (2008) pour le réalisateur Étienne Chatiliez et réalise des séries de photos pour le magazine Spoon et le mensuel Le Monde diplomatique. Elle réalise en 2004 la comédie expérimentale Paradise now - Journal d'une femme en crise et retourne au documentaire avec Un juif à la mer tout en poursuivant ses recherches sur l’image avec la création de CATMASK, une caméra sur un masque de chat, qui la conduit à travailler avec des artistes et des danseurs. Depuis quelques années, elle filme avec Stephen Torton, Too Soft For Anybody I Know sur Jean-Michel Basquiat.
En 2012, Yolande Zauberman poursuit la réalisation de l’œuvre Oh, Je vous veux !, film-installation à la croisée du cinéma et de l’art contemporain et se consacre à la réalisation de son prochain film, L'Amant palestinien.