Cette année, Les Laboratoires d’Aubervilliers reconduisent les ateliers de lecture qui, tous les quinze jours, proposent de mener collectivement recherches et réflexions autour d’une problématique spécifique abordée depuis différentes disciplines (l’art, les sciences humaines, la politique). Ces ateliers participent à la construction du « Printemps des Laboratoires », programmation qui se décline tout au long de l’année via des workshops, tables rondes, projections jusqu’à l’avènement d’un moment public intense. Ce rendez-vous public, qui aura lieu les 4 et 5 juin 2016, en constitue la mise en perspective finale à une échelle internationale. Cette programmation est articulée chaque année autour d’une notion spécifique ; cette année il s’agit de « La psychotropification de la société ».

Cette expression, associant les termes « psychopharmacie » et « tropisme », désigne le mouvement exponentiel de prescriptions et de consommation de médicaments dans le cadre du traitement des troubles mentaux et psychologiques. En pointant ce « tropisme » notre intention est de démontrer que derrière la normalisation de ces prescriptions s’érige une  idéologie fascisante qui infiltre et dirige les sociétés occidentales, davantage préoccupées par la liberté d’action à conférer à l’industrie pharmaceutique qu’aux individus qui les composent.

Pour mener à bien cette réflexion collective qui traitera des effets de normalisation sous-tendus derrière le phénomène décrit, de l’état de la psychiatrie actuelle et de la place accordée à la maladie et à la folie dans notre société, nous vous proposons de nous réunir, un jeudi sur deux, à partir du 22 octobre, de 16h à 18h. Un ou plusieurs textes sont proposés et/ou choisi à chaque atelier pour le suivant.

Atelier # 9

 « La drogue est la métropole moderne. Sa production, son trafic et sa consommation reflètent les circuits du trafic colonial, les processus de sublimation et de fantasmagories propres à la modernité industrielle pharmacopornographique ».

Faisant écho au livre étudié lors d’un des précédents ateliers de lecture, Addict – Fixions et narcotextes, de la philosophe Avital Ronell, ainsi qu'au dernier séminaire du psychologue Josep Rafanell i Orra consacré en partie aux collectifs d’auto-support d’usagers de drogues, et en perspective d’un débat organisé autour des biotechnologies, toujours aux Laboratoires d’Aubervilliers, par la revue invitée Tenons et Mortaises, nous vous proposons pour le prochain atelier de lecture, de discuter autour d'extraits de Testo Junkie, un ouvrage que celle qui s’appelle alors encore de son nom d’origine Beatriz Preciado publie en 2008 en Espagne et en France (ouvrage traduit en anglais en 2013).

Ce texte, éminemment politique, relate l’expérience de l’auteur s’administrant de la testostérone.

« Ce livre n’est pas une autofiction. Il s’agit d’un protocole d’intoxication volontaire à base de testostérone synthétique concernant le corps et les affects de B.P. Un essai corporel. »  

Hybride, il est écrit depuis un corps en mutation devenu champ de bataille politique, espace de résistance et d’auto expérimentation, laboratoire de subjectivation. C’est à travers cette démarche politique double, critique et pratique, que la philosophe entend construire de nouveaux cadres d’intelligibilité. Son écriture est tendue entre deux événements : le décès de son ami, auteur et éditeur, Guillaum Dustan, mort d'une intoxication médicamenteuse, et dont Preciado dira de lui qu’il est un « condensé humain d’une époque qui s’efface, idole et ultime représentant français d’une forme d’insurrection sexuelle par l’écriture » et la rencontre amoureuse avec Virginie Despentes. Preciado qui se présente alternativement comme lesbienne, « gouine trans » et « garçon-fille », revendique n'appartenir à aucun des deux genres masculin et féminin. Son livre, synthétique, fait réviser nos gammes du développement des contres pouvoirs émergés depuis les années 70 et en particulier des courants féministes.

De sa langue crue, pleine d’humour et sans retenue, qui tranche avec insolence d’avec nos précédentes lectures de textes poétiques (de Deligny, de Tim Ingold…), Preciado actualise son vocabulaire à l’aune des effets pervers du capitalisme et en particulier de l’industrie de la santé, invente des néologismes capables de tordre le cou à l’ennemi pour lui faire extraire sa sève venimeuse. Poursuivant les efforts de résistance aux phénomènes de normalisation de la société qui jalonnent tous les textes que nous avons jusqu’alors étudiés, Preciado, vissée à une volonté d’informer et d’amener à une conscientisation politique, condamne. En formant notamment le concept, central dans son livre, de « pharmacopornographie », qui décrit l’interpénétration de l’industrie pharmaceutique, l’industrie pornographique et le capitalisme tardif, leur impact sur les cycles reproductifs, le contrôle social qui en découle, le tout par le biais d’une régulation des corps.

Violeta Salvatierra, danseuse et membre du groupe Soma & Po à l'Université Paris 8, interviendra dans cet atelier à partir de sa lecture personnelle de Testo Junkie, et des apports fourni par Preciado à sa propre recherche qu’elle a menée autour des enjeux politiques des techniques du geste dans des contextes liés à la précarité, la captivité et au champ du handicap.

« les corps des anormaux, loin d’être dociles, sont aujourd’hui devenus des puissances politiques et par conséquent des possibilités de créer des formes de subjectivation dissidentes. »

Disciple de Jacques Derrida et d'Agnès Heller, Paul B. Preciado est l'auteur du Manifeste contra-sexuel (Balland, Paris, 2000), aujourd'hui devenu un classique de la " théorie Queer ", traduit dans sept pays. Elle/Il est titulaire d'un Master de philosophie contemporaine et de théorie des genres à la New School University de New York, et termine son Doctorat en théorie de l'architecture à l'Université de Princeton. Elle/Il a été publié(e) en France par Guillaume Dustan, au " Rayon Gay ", collection qui a marqué un tournant décisif de la scène littéraire et politique française. Aujourd'hui, elle/il dirige le projet d'investigation et production artistique " Technologies du Genre " dans le programme d'étude indépendante du Macba (Musée d'Art Contemporain de Barcelone). Elle/Il est l'auteur de nombreux essais et articles.

Les textes sont décidés par le groupe et lus en amont de chaque atelier. Ces ateliers sont gratuits et ouverts à tous, ils ont lieu le jeudi tous les quinze jours de 16h à 18h sur inscription.
Pour obtenir les textes étudiés, les compte-rendus de session, ou vous inscrire, contactez Pierre Simon: p.simon@leslaboratoires.org

Dates: les jeudi 22 octobre, 5 et 19 novembre, 3 et 17 décembre, 7 et 21 janvier, 4 et 18 février, 10 et 24 mars, 7 avril (de 16h à 18h).