Partager

 
 
 
 


Entretien avec Bastien Mignot

par Mathilde Villeneuve et Alexandra Baudelot

 

 

Mathilde Villeneuve ― Nous nous sommes rencontrés autour du réalisateur français Jacques Tourneur (1904-1977), en particulier d’une scène pharamineuse, symptomatique de la fabrique d’intensité qui caractérise son cinéma : la scène de la piscine dans le film noir La Féline (qui raconte l’histoire d’une femme hantée par la colère et la jalousie, qui se métamorphose en une panthère maléfique). La scène contient la quintessence des méthodes de Tourneur capable de monter le suspens en épingle par de multiples ficelles cinématographiques, de produire une vision, de rendre compte de l’effroi qui saisit un corps ― un corps aux contours floutés par l’eau, nu et sans défense, érotisé, pris au piège, présageant sa métamorphose animale. Tourneur c’est en général le cinéma de l’obscurité et de la suggestion, plein d’entités non humaines et invisibles, mais pour autant agissantes. Plusieurs notions que charrie ta pratique artistique.

Bastien Mignot ― Oui. La Féline et Vaudou me sont particulièrement chers. Dans plusieurs séquences du premier, l’utilisation du hors champ parvient à nourrir la peur alors qu’il ne se passe objectivement rien. Dans la scène que tu évoques, il y a tout un jeu d’ombres, on ne voit que très brièvement les choses passer. J’ai découvert Tourneur vers 2000 lors de sa rétrospective à Paris ; j’avais alors été frappé par un certain classicisme de la narration mêlé à une préoccupation pour les mondes qui nous entourent, comment il donne accès à d’autres réalités…
À l’origine j’ai plutôt une culture cinématographique western. Quand mes parents ont eu la télé - j’avais 13 ans - ils ont enlevé immédiatement le tuner pour ne pas qu’on la capte ! On ne regardait que des cassettes VHS, les deux premiers films que j’ai vus sont L’homme qui tua Liberty Valance de John Ford et Le Gaucher d’Arthur Penn. Des films de commandes, classiques, où l’on parle d’autre chose que ce qui est affiché.
Quand j’ai plus tard démarré le théâtre, ce que j’aimais c’était le jeu d’acteur, le fait d’être quelqu’un d’autre, de me transformer, de prendre les mots des autres pour exister. Mais mon attrait pour la danse était déjà là : je ne trouvais jamais un personnage via des moyens psychologiques ou des techniques d’Actors Studio, en revanche je trouvais à m’incarner grâce à une paire de chaussures, un habit, un accessoire. L’artefact engendrait ma transformation physique.
Le théâtre c’est, étymologiquement, l’endroit où l’on regarde. C’est ce qui m’intéresse, faire apparaître les choses, à la fois montrer les ficelles et les faire disparaître.

Alexandra Baudelot ― Le théâtre que tu évoques consiste en général à faire comme si le réel était sur le plateau. Or, dans ton travail j’ai l’impression que c’est tout ce que tu ne veux pas faire. Du moins que tu préfères aller voir comment, à partir d’un certain réel partagé, il y a quelque chose de l’ordre d’un imaginaire, de la métamorphose, de l’invisibilité qu’on n’arrive généralement pas à saisir, mais que l’espace du plateau peut aider à formaliser. Par rapport à l’idée de transformation et de montrer des mondes, il y a eu tes premières expériences dans des espaces extérieurs, naturels, des espaces déjà chargés donc (de fantastique, d’onirisme, de symbolique). Comment as-tu eu envie de travailler ? Pourquoi là ?

B. M. ― Pourquoi, je ne suis pas sûr de le savoir, mais ça s’est passé au moment du basculement de l’interprète à l’auteur, quand j’ai ressenti la nécessité de faire, de créer quelque chose. Je suis parti d’un texte, L’entretien dans la montagne de Paul Celan, un de ses rares textes en prose, qui est métaphysique : un juif rencontre un autre juif dans une montagne mais c’est le Je qui rencontre l’autre Je, c’est à la fois existentiel et un jeu de langage. Quand ils marchent sur le chemin, les pierres se taisent. J’ai eu envie à mon tour d’aller avec les cailloux, de revenir au contact des éléments. Le rapport animiste qu’évoque Celan me rappelait celui qu’enfant j’entretenais avec mon environnement, quand je vivais en Ardèche. Je passais mon temps en dehors de la maison, j’étais en relation avec le vent et tous les éléments météorologiques, je nommais des rochers, les visitais régulièrement, j’avais des rituels et je m’étais fabriqué une topographie personnelle.

Cela faisait par ailleurs écho à un fantasme ancien de mise en scène, celui d’adapter une pièce de John Millington Synge, auteur irlandais magnifiquement traduit par Françoise Morvan, qui a utilisé le gallo, une langue bretonne, pour le faire, c’est rempli de belles formules (comme « le lever du jour » qui devient « l’aube du jour »). Sa pièce inachevée intitulée Deirdre des douleurs, raconte une histoire d’amour entremêlée à des relations de pouvoir, de frères, de rois, d’exil sur une île, où les éléments sont hyper présents, tellement que j’avais l’impression que c’était impossible de le faire sur un plateau ; il fallait que la mer et les rochers soient vrais…au final je ne l’ai pas mis en scène, mais j’y ai beaucoup réfléchi.

Quand je me suis retrouvé à essayer de travailler à ma première création, dans le paysage, dans le cadre d’une résidence aux Sentiers des Lauzes (sentier et espace de recherche, en Ardèche, porté par des habitant.e.s qui se demandent Comment regarder, comment habiter aujourd’hui notre paysage ?), je ne savais pas trop quoi faire, je faisais des improvisations très dansées et théâtrales ! Une chorégraphe devait venir collaborer avec moi mais n’est jamais venue. Depuis un moment, je fréquentais des danseuses plutôt que des personnes issues du théâtre, notamment lors d’un stage important avec Yves-Noël Genod, auquel participaient des danseuses, comme Sandra Iché qui a travaillé avec Maguy Marin pendant des années. Cela m’a ouvert à une approche différente de celle à laquelle j’étais habitué, qui consistait avant tout à mettre en scène des textes, mais ce faisant, se coupait de toute une réalité. Là, j’assistais au travail de Sandra qui prenait en charge de façon extraordinaire un texte de Paul Claudel, en partant de son réel, de son moment sur scène, avec sa peur, ses sensations qu’elle racontait. C’est la première fois que j’observais une telle démarche de création, qui ne séparait pas l’objet créé de ce qui l’a nourri à l’origine tout comme des paramètres (émotionnels, relationnels, spatiaux) qui participent à la situation.

M.V. ― Le résultat de ta pièce aux sentiers des Lauzes en 2012 n’est pas une pièce dansée.

B.M. ― Comme la chorégraphe n’est pas venue, c’est finalement avec le photographe Grégoire Edouard que j’ai collaboré. C’est devenu un ensemble ouvert de photos, de vidéos et de performances intitulé « Alors qu’un certain nombre de choses avaient disparu » (un fragment d’une phrase du texte de Celan) …On y a travaillé pendant trois ans. J’ai mis du temps à comprendre comment je fonctionnais, j’essayais de catégoriser ce que je faisais, comme Fernando Pessoa qui a dû se trouver des hétéronymes pour se ranger un peu.
Une des leçons que j’ai tirée en faisant ce travail, c’est que le paysage est toujours plus intéressant que nous, plus fort, plus vivant que notre état de représentation. Alors j’ai cherché à inscrire de toutes petites choses et à faire en sorte qu’on reçoit ce qui était déjà là.

M.V. ― Être au plus près d’une sensation procurée par la tension entre des échelles variées...

A.B. ― Trouver l’endroit juste, ni surplomber la situation, ni en être écrasé…

B.M. ― Oui. Et puis j’avais déjà un rapport compliqué à la narration, à la fiction. D’ailleurs, j’avais arrêté de lire des romans dès l’âge de 13 ans, je ne lisais plus que de la poésie.

M.V. ― Pourquoi ?

B.M. ― Je ne sais pas vraiment. Je lisais les classiques.

M.V. ― Ah oui Rimbaud au fond de la classe !

B.M. ― Ça c’était au lycée ! Dans la Pléiade, histoire de me la péter (rire). En tout cas le chemin de la narration…

M.V. ― Fallait l’exploser comme pour faire éclater la raison avec ?

B.M. ― Un peu oui, et puis trouver un rapport plus tactile, de sensations plus fragmentées.

A.B. ― Cela me fait penser à un atelier de lecture qui s’est tenu en avril 2018 aux Laboratoires en relation avec un livre de Paul Audi, Au sortir de l’enfance, qui raconte comment le rapport de l’enfant au monde s’inscrit à travers le corps. On naît endetté, on subit l’altérité mais le corps est traversé par les sensations et ce n’est qu’au passage de l’adolescence que la raison prend le dessus. Il cite entre autre ce passage de La Double Confidence de François Mallet-Joris : « L’enfance est pleine de courant d’air, de contradiction qui se complètent. De signes, de codes, d’un langage secret et primitif dont beaucoup perdent la clé. Le sang y est joyau, la blessure présage. Un guérissable comme celle d’un chevalier de la Table ronde, elle s’inscrit dans la légende qui se fait, chaque jour, au moyen d’une plume d’oiseau, d’un chat-fantôme, d’un tesson de verre emprisonnant un soleil ». 
Alors revenir au langage poétique au moment de l’adolescence ce serait une manière de résister à rentrer dans ce monde de raison pour garder l’ancrage dans un monde de sensations. Dans ton travail, la sensation, la poésie et le récit passent avant tout par le corps, ce qui est rarement le cas dans le théâtre, où il y a souvent une distance importante entre la compréhension qu’on peut avoir d’un texte et la manière de l’incorporer et de le jouer.

M.V. ― Tu pèles les couches de l’entendement jusqu’à revenir au langage du corps, sentir par les pores, pour appeler à un réveil des sens et une perception qui en est beaucoup plus élargie.

B.M. ― Oui j’essaie ça. Ce qui est drôle c’est que les mots sont très présents en amont. Avant d’aller dehors avec Grégoire, j’avais articulé des axes de travail, donné un titre (je donne toujours les titres en premier), je m’étais déjà questionné sur la notion de paysage, en lisant John Brinckerhoff Jackson (géographe précurseur des études de paysage et fondateur de la revue Landscape) , dont le chapitre « Le paysage comme théâtre » dans « De la nécessité des ruines et autres sujets » étudie le lien entre l’invention du paysage et la description du monde comme « la scène de l’homme ».

M.V. ― Peut-être que ce que tu vas chercher dans les mots ce n’est pas tant une grammaire ou l’articulation syntaxique de ta pièce mais ce que ça peut impulser de musique, de rythme, d’ambiance, de sensations. Je veux dire que les mots ne sont pas simplement générateurs du squelette que tu vas fabriquer mais peuvent lancer des pistes de ressentis.

B.M. ― Et parce qu’ils agissent aussi sur moi. Les opérations magiques passent par le langage. Ensuite savoir quel statut cela a dans le travail, je ne sais pas exactement ; des fois j’ai l’impression que je fais un geste qui est en réalité constitué de milliers de mots.

M.V. ― Ça me fait penser que quand les mots reviennent dans la pièce, comme dans la performance présentée aux Labos, c’est plus en tant que formule magique que porteurs d’une narration.

A.B. ― Je propose que nous revenions aussi à la pièce que tu as faite sur une mare : Λυκòφωσ.

B.M.Λυκòφωσ, qui signifie en grec la morsure du loup, et qui est le crépuscule. La mare, très grande, est sur une colline, près d’un château, qui est le siège du parc naturel des Monts d’Ardèche. FORMAT y faisait son festival.
La pièce durait 20 minutes, sur les derniers moments du crépuscule, jusqu’à la nuit pleine.
Le fond de la mare était plein de roseaux. Les spectateurs se mettaient en U autour. Je l’ai performé avec Julie Menut, dans une barque. Nous étions des figures, des ombres, peintes de noir. Ça m’intéressait d’être la nuit avant la nuit et de disparaître dans le paysage. Le corps était flou ; ce qu’on donnait à capter c’était un corps spirituel, l’aura de la personne. À cela s’ajoutait des effets de deux dimensions, l’impression de voir des silhouettes en carton. Julie était déjà allongée dans la barque quand les spectateurs arrivaient. Elle faisait penser à une nymphe, nue, les cheveux détachés, l’eau autour. En même temps il y avait un aspect monstrueux. Moi j’étais assis de l’autre côté de la mare, je faisais comme un rituel, une avancée sur 15 minutes qui était rythmée par de la musique composée par Clément Vercelletto, un drone de piano. Les enceintes étaient cachées si bien que la musique se mixait au chant des grenouilles et des cigales.
Je travaillais avec des cadres imaginaires, notamment ceux d’ouvrir des portes : la mare était comme l’Achéron, un passage d’un monde à l’autre. Ma gestuelle était composée de gestes prélevés au cycle Le Poème de l’âme, de Louis Janmot, un peintre romantique lyonnais. Dans chacune de mes postures résidait une action énergétique, un soin ou une prière ; elles se concluaient par des chutes. Je lâchais la sculpture et retombais de tout mon long, je disparaissais.
Mais les spectateurs étaient excités et dispersés ! Des gamins venaient me piquer avec des bâtons pour vérifier ce que j’étais !
Je me suis rendu compte à quel point, dès qu’on remet en question la salle classique de représentation (le plateau) et la position du spectateur qui va habituellement avec (frontale), il faut alors réinventer tout le rituel collectif. D’autant plus que la temporalité aujourd’hui est plus fragmentée et les actions superposées (on finit un texto, on boit un coup, on assiste au spectacle) ; il est d’autant plus difficile de s’extraire et se laisser partir vraiment ailleurs.

M.V. ― Aux Laboratoires, tu avais en effet pris soin des conditions de réception : sas d’entrée où l’on était invité à retirer ses chaussures, assise libre au sol, long prologue de projection d’un montage d’images silencieux, puis plongée dans le noir total… tout nous amenait à ce que quelque chose progressivement s’éteigne et se taise en nous.
Je me pose la question de ton choix d’images d’ailleurs, dont beaucoup là encore établissaient un rapport entre le macro et le micro.

B.M. ― Ma recherche iconographique gravite autour de la connexion au cosmos, qui est présente tout autant dans mes pratiques spirituelles, de méditation ou autres qui irriguent mon travail artistique. Je considère que ce qu'on partage dans l'expérience artistique est sacré. Les affects que transporte une image m’intéressent. Une image ce n’est pas figé, ça contient beaucoup de choses en potentiel, c’est arrêté mais encore en vibration. Aby Warburg, Georges Didi-Huberman après lui, ou Jean-Luc Godard disent qu’une image n’est jamais seule, elle en appelle toujours d’autres, qu’elle vaut prise dans un montage.
Les images véhiculent des forces, au-delà de ce qu’elles représentent. Je suis sensible aux images de la Renaissance et du Moyen-âge, du moment historique où la science, la religion et l’art étaient placés sur la même verticale, avant le cloisonnement des disciplines induit par la modernité.

A.B. ― C’est en effet problématique que certaines disciplines en aient recouvert d’autres. La science, la religion par exemple. Les images révèlent-elles en partie les couches endeuillées ?

M.V. ― Pour refaire de la place à la croyance notamment ?

B.M. ― Oui. Une image de la NASA peut devenir une icône religieuse.

A.B. ― Arrêtons-nous sur cette pièce que tu as développée suite aux échanges qu’on a eu alors qu’on démarrait notre cycle de recherche aux Laboratoires d’Aubervilliers autour de Extra Sensory Perception. Cette thématique rejoignait des références qui habitent ta pratique, liées à la mystique, la cabale, la divination… peux-tu nous en parler ? À la fois le passage du travail dans la nature à la salle, celui sur les signes, ce travail que tu énonces comme étant pour « pierres, humains, animaux, forêts », où les cartes que tu as mises en place sont utilisées comme des partitions.

B.M. ― Pour préparer la pièce, j’ai fait un tirage de tarot hébraïque ; mon jeu est réduit parce que je ne lis pas l’hébreu, mais j’aime ça et je suis très sensible à la tradition kabbalistique, et particulièrement à ses lettres qui contiennent des mises en abyme perpétuelles (dans la lettre il y a déjà un mot, le mot aleph dans la lettre aleph). Ce tirage m’a permis de ranger les éléments disparates que j’avais jusqu’alors : je mettais en résonance les symboliques de la carte avec les pratiques qui étaient miennes. Plus tard j’ai agencé.
La pièce est née par le symbolique, c’était libérateur, je manipulais ses ingrédients sans me préoccuper des temporalités accordées à chaque partie, je me racontais des histoires sur les effets de chaque carte, comme si c’était un chapelet de rituels. Il y en a onze au total, assemblés en un rituel plus grand, qui devient la pièce. Avec Julie Menut, qui m’a accompagné sur l’élaboration de cette pièce, on parlait de rituel à facettes, travaillé dans un seul souffle, un chemin. Même si dans le noir on assiste à des apparitions.

A.B. ― À chaque fois que la pièce va se rejouer, elle pourrait être remodelée – ré-agencée ?

B.M. ― C’est possible, en fonction des espaces notamment. J’ai besoin de la rejouer, pour mieux l’éprouver, notamment la partie des miroirs qui est plus directement en lien avec les personnes qui regardent. Il s’agit d’un seuil, encore : après la projection et avant le noir, la première apparition, j’apparais dans une figure assez hybride, entre le berger, le christ, la chèvre, un centaure, un arbre ; j’ai un miroir à la main. Je travaille en relation avec un ensemble de spectateurs à qui je montre leur propre image, je tisse et recompose des liens. Il s’agit de faire des liens, de communauté et de solitude, de se voir avec les autres, de se voir être vu, ça redistribue des points de vue dans la salle ; c’est aussi Alice au pays des merveilles, le moment où l’on bascule dans le noir.

M.V. ― Un autre basculement, émotionnellement chargé, a lieu à la fin : le rideau tombe et les spectateurs « sur scène » t’observent toi qui est assis seul dans les gradins.

B.M. ― Ce moment est d’une autre nature que les autres, c’est une image-action, qui utilise la puissance visuelle d’une image. C’est l’ouverture d’un autre espace.

M.V. ― À ce moment-là la salle est plus lumineuse, l’image plus claire donc, mais tout de même il reste difficile de savoir si cela signe ou non la fin du spectacle. Tu tiens jusqu’au bout le spectateur dans une place incertaine. On part chargé de l’expérience menée, qui déborde du temps qui lui avait officiellement été consacré.

B.M. ― C’est comme s’il y avait une impossibilité pour moi de dire « tout ça ce n’était pas vrai, merci beaucoup ». Cela m’intéresse davantage de réfléchir à la manière dont une pièce peut continuer à agir en dehors de son espace de représentation.
Je commence à travailler à la conception du deuxième volet du diptyque de la pièce présentée aux Laboratoires d’Aubervilliers. Le dispositif théâtral sera encore plus déconstruit et en mouvement. La question du regard sera toujours là, mais en utilisant la frontalité cette fois ; avec une scénographie substantielle : une perspective.

--
Les Laboratoires d’Aubervilliers, juin 2018

 

 


« Imaginez pour un instant qu’étant dans une forêt vous n’ayez plus de noms pour ce que vos yeux rencontrent, pour ce que vos oreilles entendent, pour ce que sent votre peau. Qu’est-ce que vous rencontrez ? Qu’est-ce que c’est que ça ? Ce n’est pas un ça, puisque vous n’avez pas de concept à votre disposition, mais vous rencontrez une vie extraordinaire qui vous fait frissonner. Et dans ce frisson c’est vous-même que vous rencontrez d’une façon extraordinaire. Étant ainsi vous-même dans un sens très profond et en deçà ou au-delà de tout concept, c’est le divin que vous rencontrez. C’est dans cette solitude, dans ce silence par rapport aux concepts que le divin, qui toujours nous cherche, nous trouve ! Chaque méditation est l’effort d’entrer dans cette solitude, dans ce silence. »

Karlfried Graf Dürckheim, Le centre de l’être, Paris, éd. Albin Michel, 1992, p.100



« [...] C’est d’ailleurs ce que constate amèrement l’astrophysique : « La rupture avec l’ensemble des grands événements cosmiques est l’une des causes du dérèglement des sociétés humaines. [1] »
Pour preuve de cette fracture astronomique de la mondialisation, observons maintenant un phénomène de pollution excentrique, mis en lumière — c’est le cas de le dire — par une association pour la protection du ciel nocturne.
A cause de l’ampleur de la pollution lumineuse provoquée par un éclairage électrique trop puissant, les deux tiers de l’humanité sont désormais privés de la nuit véritable. Sur le continent européen par exemple, la moitié de la population n’est plus en mesure d’apercevoir la voie lactée, et seules les régions désertiques de notre planète sont encore plongées dans l’obscurité — au point que ce n’est pas uniquement le ciel nocturne qui est menacé, mais bien la nuit, la grande nuit intersidérale ; cette autre quantité inconnue qui constitue pourtant notre seule fenêtre ouverte sur le cosmos [2]. La situation est d’ailleurs telle que l’International Dark Sky Association vient de lancer une pétition surréaliste pour que la nuit soit classée patrimoine historique de l’humanité ! »

Paul Virilio, La pensée exposée, Arles, éd. Actes Sud, 2012