Lorenzaccio d'après Lorenzaccio de Musset
Gwénaël Morin
Lorenzaccio est une pièce du chaos. Tout y est séparé. Chacun vit pour soi, rien ne réunit personne, aucun monde, aucun projet, aucun espoir ne réunit personne, tout est champ de bataille, tout est lutte à mort pour le triomphe individuel, tous sont seuls contre tous. Guerre, guerre et chaos. Les êtres y coexistent aveugles les uns aux autres dans l’indétermination, dans la boue du chacun pour soi.
J’ai pris la decision de faire Lorenzaccio d’après Lorenzaccio de Musset parce que je veux traverser le chaos. C’est une mission impossible. Le chaos signifie pour moi que tout est possible. C’est-à-dire que tout est à la fois parfaitement vrai et parfaitement faux, que la catastrophe est permanente, que rien ne peut sortir de la boue, pas de perspective, pas de destin, jouir vite et à tout prix avant demain matin, avant qu’il ne soit trop tard.
En tant qu’être humain, je ne peux pas accepter cet état de fait. Ma condition est d’agir c’est-à-dire créer des liens avec ce qui m’est autre. Faire advenir ce qui n’est pas encore, faire l’impossible, donner, générer du sens. Je ne projette pas là-bas, demain, l’image d’un idéal à atteindre. Je n’ai pas d’idéal, je suis vivant et continue de vivre, je fais l’impossible. Avec la mise en scène du spectacle Lorenzaccio d’après Lorenzaccio de Musset, je veux donner le spectacle d’une expérience de la traversée du chaos.
Lorenzo il y a cinq siècles, dans une Florence qui exulte dans le mensonge et la violence, décide, résistant à l’idéologie aveuglante du «tout est possible», d’en assassiner l’icone : le duc Alexandre de Medicis, son cousin. Tyrannicide ! Comment faut-il comprendre son geste au-delà d’une justice manicheenne ? Personnellement je ne veux ni tuer ni supprimer ni rompre ni en finir avec quoi que ce soit, je veux faire quelque chose en plus, je veux fonder quelque chose, un monde, un seul monde, quelque chose qui n’existe pas encore, quelque chose que ne contient pas la promesse du « tout est possible ». Je suis hors projet, je n’ai pas de croyance, pas d’espoir, je suis amoureux, j’aime la vie. La vie comme affirmation pure de l’impossible face au désert plein du chaos Je ne comprends pas mais j’admire le geste de Lorenzo. Il est l’affirmation éclatante que, contre la ruine annoncée du «tout est possible», l’alternative est de faire l’impossible.
Avec Lorenzaccio d’apres Lorenzaccio de Musset je veux, debout dans la boue du «tout est possible», affirmer l’urgence de faire l’impossible.
Prologue
Violence violence violence combien de fois ton spectacle nous aura-t-il rendu las et repus à notre délicate impuissance? Lumière. Mesdemoiselles, Mesdames, Messieurs, bonsoir Nous sommes maintenant en 1536 ; à cette époque le cocktail mondialisation & intégrisme porte un autre nom: empire & papauté
L’un entre les mains de Charles Quint, l’autre entre les mains d’un anonyme qui porte un numéro. Plus précisement la scène a eu lieu à Florence où la coalition des deux pouvoirs – économique et idéologique – est incarné par le duc Alexandre de Médicis.
Comme vous vous en doutez, Moyen-âge aidant, Alexandre de Médicis règne sur Florence d’une main de fer, et comme vous vous en doutez, expérience aidant, le peuple subit, apathique, la domination du clan des Médicis sans autre forme de protestation que de chanter encore et toujours cette même chanson commode et trop connue que vous chanteriez, vous, à leur place. Trois, quatre...
Épilogue
Nous sommes donc jadis en 1536 mais maintenant Alexandre de Médicis est mort. Ce meurtre, commis par son cousin, Lorenzo de Médicis, n’aura aucune consequence politique. Un autre Médicis, à l’issue d’élections fantoches, le remplacera, et le meurtre commis par Lorenzo n’aura servi à rien. À rien sinon à faire un spectacle.
Le théâtre est-il vain? Oui je pense cela, il n’y a pas de morale à l’histoire.
Il est certain qu’avec un projet politique et un soutien collectif conduit par la sagesse d’un républicain comme Philippe Strozzi, l’acte de Lorenzo aurait eu une autre portée, mais combien faudra-t-il encore de cadavres pour réaliser le bonheur commun? La politique aussi est-elle vaine ? Non, je ne pense pas. Organiser les relations des hommes entre eux est une tâche nécéssaire qui incombe à chacun, elle est magnifique lorsqu’elle est conduite dans la justice.
Mais que ferons nous demain?
Demain nous rejouerons le spectacle. Peut-être reviendrez vous le voir? Comment pourrions-nous le faire sans la conviction que notre travail puisse transformer le monde?
La faculté de changer le monde en touchant l’autre, nous la possedons tous. Il y a une perspective. Bonsoir, bienvenue dans la realité.