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Séminaire Pratiques de soin et collectifs - Rencontre #4
Jeudi 26 janvier 2017, à 19h




La psychiatrie. Bordures.


Si j'ai choisi de mettre notre rencontre sous la signe de la bordure, c'est que la psychiatrie en tant qu'institution aura multiplié tout au long de son histoire les frontières. Frontières spatiales avec ses formes d'enfermement, de contention, mais aussi ontologiques, avec la reconversion de l'expérience singulière de souffrance en expérience psychopathologique : séparation de l'expérience de soi d'avec la pluralité de mondes avec lesquels elle était en prise.

Cette construction de frontières repose sur un pouvoir discursif mais aussi, ne l'oublions pas, d'affectation des régimes de visibilité de la folie par les spécialistes du soin. Personne n'ignore que ce qui est défini dans nos contrées comme une pathologie, la schizophrénie, peut être caractérisé autrement, dans d'autres lieux et d'autres temps, par exemple au sein d'un processus de médiation avec d'autres êtres (nous y reviendrons lors d'une prochaine rencontre autour des pratiques actuelles de néo-chamanisme). Mais personne ne peut ignorer non plus l'asymétrie entre les différents pouvoirs d'assignation de l'expérience. La psychiatrie « occidentale » aura imposé depuis longtemps sa tradition d'interprétation de la folie et ses formes de rationalité, proclamées universelles. Ce que l'on appelle les étiologies traditionnelles « autres », ne serait que l'habillage « culturel » d'une unicité première des phénomènes intrapsychiques. Encore des frontières : la construction d'un dehors exotique.

C'est avec l'assurance de pouvoir établir des causes premières universelles, assurance partagée par les différents courants du champ psy (de la psychiatrie biologique aux théories cognitivistes, en passant par la psychanalyse), et ceci malgré les guerres intestines auxquelles se livrent ces corpus théoriques, qu'a lieu la réinstitution permanente de logiques de séparation dans la constitution du champ psychiatrique. D'un côté, ses spécialistes et, de l'autre, ses patients plus ou moins impatients.
Et pourtant, il ne s'agit pas ici simplement de mener une guerre à l'hospitalisme et aux nouvelles formes asilaires, mais de réhabiliter par le même mouvement l'hospitalité et des propositions pour donner asile à des expériences souvent impartageables. Et c'est alors que la notion de bordure nous intéresse particulièrement. Bordures comme création de « zones potentielles » d'émergence de nouvelles situations qui font que des passages redeviennent possibles, où ce qui nous importe ce sont les devenirs indéterminés de nos relations conjointes plutôt que les états avec ses diagnostics, ses pronostiques et leur avenir déjà prédéterminé. Plutôt alors des mondes communs en train de se faire que le monde « tel qu'il est » et dont nous serions, les professionnels du soin, les hérauts de son interprétation.

Nombreuses ont été les tentatives historiquement situées qui ont eu lieu dans ce sens. D'autres se poursuivent dans une incessante expérimentation malgré l'adversité. Dans celles-ci, ce dont il s'agit c'est instaurer un « dedans » (celui de l'accueil) qui s'ouvre vers le « dehors » (celui des processus de désassignation). Peut-être que le mot « instauration » est une autre manière de nommer les conditions de ce que Félix Guattari appelait il y a bien longtemps, une « processualisation » :

« (Les) manifestations hétérodoxes de la subjectivité, il ne s’agit ni de les ignorer, ni de les détruire, ni même de les interpréter, mais de contribuer à leur forger des scènes et des contextes les conduisant à se processualiser, c’est-à-dire à travailler à leur propre compte jusqu’au point où elles sortent de leur auto-référenciation bornée, fermée sur elle-même, et où elles parviennent à s’articuler à de nouveaux univers de référence ».
Félix Guattari, Les dimensions inconscientes de l’assistance, Revue Chimères n° 1, 1987

Au fond, ce dont il s'agit c'est du questionnement pratique de ce qui permet d'établir des espaces transitionnels permettant l'émergence de communautés situées. Autrement dit, d'une politique du soin.


Lors de cette discussion, nous compterons avec la présence de Mounia Ahammad, et de Charles Burquel, respectivement infirmière et psychiatre, complices dans différentes expériences de renouveau de l'héritage de la psychiatrie démocratique en Belgique, expérimentateurs inlassables de nouveaux espaces de partage des expériences de souffrance psychique. Aussi avec celle de Florent Gabarron Garcia, psychanalyste critique, ayant travaillé à La Borde et menant depuis longtemps des recherches sur l'articulation entre la clinique et la politique. Et enfin avec celle d'Alexandre Vaillant, psychologue et animateur d'un GEM (groupe d'entraide mutuel) à Saint-Denis, engagé dans une recherche sur les cartographies du soin.

 

 

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Entrée libre sur réservation
à reservation@leslaboratoires.org

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ARF