illegal_cinema #37

La séance est proposée et animée par Francesca Martinez Tagliavia, doctorante à l'EHESS et organisatrice du European Meeting of University Struggles (Paris, Saint-Denis, 11-13 février 2011).

 

Films projetés: Capitulation project (19min., Suisse / Allemagne, 2003) et Alles wird wieder gut (20min., Suisse / Allemagne, 2006), deux films de  Frédéric Moser & Philippe Schwinger.



Capitulation Project : projet pour une vague 
(par Francesca Martinez Tagliavia)

[…] dans ce jeu, la liberté va bien apparaître comme condition d'existence du pouvoir (à la fois préalable, puisqu'il faut qu'il y ait de la liberté pour que le pouvoir s'exerce, et aussi support permanent puisque si elle se dérobait entièrement au pouvoir qui s'exerce sur elle, celui-ci disparaîtrait du fait même et devrait se trouver un substitut dans la coercition pure et simple de la violence).  
Michel Foucault, Deux essais sur le sujet et le pouvoir


Capitulation Project est un film presque-documentaire : c’est la remise en acte d’une performance faite en février 1971 par la compagnie d’acteurs « The Performance Group » guidée par Richard Schechner, à New York : Commune. Les acteurs remettent en scène le jeu complexe des rapports de force – entre liberté et pouvoir - qui vont déterminer le massacre de centaines de vietnamiens dans le village de My Lai le 16 mars 1968. Au cours de cette performance acteurs et audience se mêlent dans l’action de reconstitution des rôles des soldats américains, reporters sur le champ, civils.

Frédéric Moser et Philippe Schwinger vont remettre en acte cette performance en 2003, au moment de l’invasion des Etats-Unis en Irak. Ils la filment en noir et blanc comme si elle avait lieu en 1971. 

Ce film est d’abord « fait pour être vu », présupposé du presque documentaire photographique dans lequel sont brouillées les frontières entre le réel et sa représentation. Le documentaire et la fiction sont confondus. En fait : rien n’est « dehors » le réel. Sommes nous en 1969 ? En 2003 ? En 2011 ? L’événement est toujours actuel. On rejoue ensemble l’événement dans son processus de constitution relationnel : on filme la remise en acte des échanges, des conflits, des forces en jeu qui ont amené à prendre la décision des américains de tirer sur les gens au Viêt-Nam comme de tirer sur les gens en Irak en 2003. Le processus autoréflexif du jeu se déclenche via la remise en acte de la performance et la reprise de la caméra se tourne elle-même au présent : elle se fait maintenant. Qui sommes nous ? Que faisons-nous ? L’histoire est une question de « physicalité » , elle se construit à travers des rapports. Cette dynamique matérielle fonde la notion foucaldienne de biopolitique. Avec le terme de biopolitique nous pouvons appeler une puissance productive d’affects, de langages, à travers l’interaction des corps et des désirs et l’invention de nouvelles formes de relation avec les autres. Cette « puissance productive » est celle-là même qui crée l’événement, c’est-à-dire tout fondement d’un rapport historique aux actes : l’événement est un acte biopolitique. C’est la création qui en est le résultat ouvert et indéterminé. Biopolitique est donc aussi cette vie qui est toujours stratégique, dont les mouvements sont toujours politiques, toujours en train de se faire et de se défaire (se subjectiver et se désubjectiver) en relation aux autres (d’autres positionnements stratégiques, d’autres biopolitiques). 

La « machine de la représentation » de Capitulation Project ouvre aux mécanismes qui déterminent les rôles différents au sein d’une « place publique » comme celle du théâtre qui devient la « place commune » du réel : l’acteur, le spectateur (les spectateurs sont inclus sur le plateau), l’espace scénique, l’espace réel de l’action : la caméra filme les déplacements des rôles d’un corps à un autre corps qui se subjectivent et se désubjectivent constamment. Le film se fait vie : Commune (1971-2003-2011) est actuelle car commun est le présent. 

Ce n’est pas un hasard si le dispositif de projection du film prévoit l’installation d’une vague sur laquelle les spectateurs prennent place – mouvante – pour agir ce qui est en train de se dérouler. Si aux Laboratoires d’Aubervilliers nous ne nous assoirons pas sur une vague en carton, c’est parce que nous sommes en ce moment, du Maghreb à l’Europe, en train de surfer sur la lèvre d’une vague beaucoup plus grande qui constitue l’événement actuel : [1848-2011] Paris Common.

ARF