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Atelier de lecture "Extra Sensory Perception" #14
Jeudi 27 avril 2017, de 16h à 18h



Les Laboratoires d’Aubervilliers poursuivent les ateliers de lecture qui, tous les quinze jours, proposent de mener collectivement recherches et réflexions autour d’une problématique spécifique abordée depuis différentes disciplines (l’art, les sciences humaines, la politique). Ces ateliers participent à la construction du « Printemps des Laboratoires », programmation qui se décline tout au long de l’année via des workshops, tables rondes, projections jusqu’à l’avènement d’un moment public intense. Ce rendez-vous public, qui aura lieu en juin 2017, en constitue la mise en perspective finale à une échelle internationale. Cette programmation est articulée chaque année autour d’une notion spécifique ; cette année il s’agit de « Extra Sensory Perception ».

La quatrième édition du Printemps des Laboratoires a ouvert un champ très vaste que nous souhaitons continuer à explorer pour cette nouvelle saison. Sous l’intitulé « ESP (Extra Sensorial Perception) », nous proposons de poursuivre nos réflexions.

Il sera question de comment faire de la place dans nos vies à des voix multiples et contradictoires, à un “Je” non unique, centre de gravité narratif, à des entités non-humaines et autres mondes invisibles, de comment en être remplis sans être assaillis. On se demandera ce que peut être une mystique contemporaine et dans quelle histoire hallucinée, illuminée, visionnaire nous souhaitons nous situer aujourd’hui. On cherchera les méthodes de désindividualisation afin de partager ces visions et de les rendre collectives et habitables.




Atelier # 14


Tarantella ! Possession et dépossession dans l'ex-royaume de Naples
Alèssi Dell’Umbria

« Ces rites et ces façons de chanter font partie d'un ensemble qui a toujours rendu le monde populaire non intégré et non intégrable : il s'agit d'en comprendre la vérité, c'est-à-dire la valeur : les îlots d' « ignorance » sont des îlots de résistance. » de Gianni Bosio, animateur de l'Istituto De Martino (in Tarantella ! Possession et Dépossession dans l'Ex-Royaume de Naples, p.408)

Suite aux expériences écoféministes et néopaïennes de Starhawk que nous avons évoquées lors du dernier atelier de lecture « Extra Sensory Perception » aux Laboratoires d'Aubervilliers, nous continuerons à nous intéresser aux états de conscience modifiée et aux sorties de soi, aux possibilités de renouer avec les forces telluriques et les constructions collectives, en nous inspirant des mondes habités par d'autres, ailleurs et dans d'autres temps, en l'occurrence ceux décrits dans Tarantella ! Possession et dépossession dans l'ex-royaume de Naples par son auteur, Alèssi Dell’Umbria, qui nous fait l'honneur d'être avec nous ce jour là.

Comment ne pas développer une fascination pour la tarentelle à la lecture de cet ouvrage-somme qui nous fait saisir combien elle est à la fois un pharmakon (un poison et sa cure), une transe, un rituel au fort impact émotionnel, un culte sans dieu ni temple, un système qui tisse des attentions complexes entre elles, un rite de voyage et de passage qui dirige l'intensité de la vie, l'appel au mouvement contenu dans sa musique même.

Cet ouvrage très documenté, étayé de nombreuses citations, d'appuis philosophiques et ethnographiques, qui prend soin de revenir à la définition des termes (transe, kosmos, orgasme...), remonte le fil de la généalogie de ce phénomène qui a très largement infuser notre imaginaire collectif et nos pratiques – qu'elles soient de pensées, de danses, de musiques, de comportements humains et de formes de soin. Il adopte une approche transversale qui passe joyeusement de son histoire originelle, des morsures d'araignée, aux films hollywoodiens qui s'en sont saisis, des croyances populaires relatées par Pline l'Ancien aux mythes, rituels dionysiaques et tragédies grecques avec lesquels la tarentelle partage un bon nombre de traits communs (ne serait-ce que leur fonction cathartique et leur pouvoir de transformation), jusqu'à ses formes de persistance aujourd'hui malgré les forces de désagrégation dont elle a été assaillie.

Alessi Dell'Umbria a étudié son développement multiple, en fonction des différentes aires culturelles et géographiques, ses vestiges et ses dérives aseptisées jusqu'à devenir un folklore pour tourisme, les traces qu'elle est parvenue à laisser malgré tout, dans la musique, dans le carnaval, dans des pratiques religieuses qui s'étaient pourtant efforcées de l'évincer, dans le théâtre de rue, voire dans des luttes de revendication identitaire transgenre.

Pleine d'une charge subversive, la tarentelle met en difficulté la science et la médecine via  l'intrusion de la magie, de la puissance thérapeutique de la musique et de la prise en charge collective du malade. Elle se loge au cœur des croyances paysannes, qui par leur élasticité, brouillent les frontières entre sacré et profane, culture et nature, âme et corps - des croyances antidogmatiques qui contrecarrent les autorités (dont celle de l'Eglise catholique), défient l'approche matérialiste et individualiste d'auto-célébration du Moi, apanage de notre société occidentale, et arborent à l'inverse leur caractère fondamentalement communautaire tourné vers une célébration du cycle cosmique qui fait la part belle au sens, à la relation et à l'improvisation.

Dans ce livre partisan, c'est toute l'histoire du monde paysan qui y est dépeinte, les îlots de résistance qu'il a formé contre le développement d'une société consumériste cherchant à liquider ses puissances et diversités créatrices. C'est avec lui, celle des musiques mineures et leur puissance d'envoutement qui est décryptée, leur liberté dans le chant, dans le mélange des genres qu'elles convoquent, dans la parole politique qu'elles recouvrent, dans l'érotisme dont elles peuvent être empruntes, dans le rituel dont elles émanent, qui accompagne chaque moment de la vie, dans les combats politiques qu'elles ont enregistrés et accompagnés, dans les injustices sociales contre lesquelles elles se sont levées.


Alèssi Dell’Umbria a grandi à Marseille. Réalisateur et essayiste, il travaille, entre autres, autour des questions d’histoire et de politique urbaines. Il a collaboré à différentes revues de critique sociale et a notamment écrit : C’est de la racaille ? Eh bien, j’en suis ! À propos de la révolte de l’automne 2005 (L’Échappée, 2006, réédité et augmenté sous le titre La Rage et la révolte, Agone, 2010) ; Histoire universelle de Marseille, de l’an mil à l’an deux mille (Agone, 2006), Échos du Mexique indien et rebelle (Rue des cascades, 2010), R.I.P. Jacques Mesrine (Pepitas de calabaza, 2011). Il a réalisé en 2009 La Madonna de la montagne et en 2014 Istmeño, le vent de la révolte, un documentaire sur les communautés indigènes bouleversées par l’industrialisation de parcs éoliens dans l’Isthme de Tehuantepec au Mexique. 

 

 

ARF