illegal_cinema #64

Lundi 7 novembre 2011, à 20h :

Anaïs Farine, étudiante à Paris 3, en master recherche études cinématographiques et audiovisuelles, et membre de Cine-MO (Groupe de recherche sur le cinéma du Moyen-Orient), présente le film Description d'une mémoire (Description of a memory - Thirteen memories following Chris Marker's "Description of a Struggle") de Dan Geva (Israël, 2006, 80 min, Production: Habayit Hakatom - Dan et Noit Geva, Distribution : JMT Films - Jean-Michel Treves Michael@JMTFilms.com).

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Description of a memory, Dan Geva, D.R.

En 1960, douze ans après la création de l’Etat d’Israël, Chris Marker réalise Description d’un combat. Cette œuvre est révélatrice de l’intérêt que ce "migrant professionnel" porte aux pays lointains et aux jeunes États en transformation. Le film se présente sous la forme d’une accumulation de « signes », collecte qui a pour objectif de rendre lisible l’identité de l’Etat d’Israël. Mais comme le sait bien Marker lui-même, seul l’avenir nous permet de lire le potentiel annonciateur des images... En 2006, le réalisateur israélien Dan Geva réalise le film Description of a memory, dans lequel il remet en jeu les images de Marker et en interroge les "petits détails", afin de décrypter leur portée prophétique et de dresser le portrait de la société israélienne contemporaine. "Plus je regarde vos photographies, plus elles dégagent le silence. [...] Comme je les scrute à la lumière d’un demain, hier me réapparaît dans un brouillard", dit le réalisateur en voix-off.
Description of a memory est un film hétéroclite. Un film qui répond en prenant acte de discours variés et de diverses places dans le temps et dans l'espace sans chercher à résoudre ces différences. Par le montage d'images et de sons, par l'adresse à Chris Marker, par l'anticipation des multiples interprétations qui pourront être faites de son film, Dan Geva expose des fossés. Paradoxalement, c'est en exposant ces fossés, en formulant ces constats accablants, que le film semble permettre de reformer la continuité du temps, de parler de ce qui se tient "entre" (entre les films, entre un film et ses spectateurs, entre les différentes versions de l'histoire du conflit israélo-palestinien).

Description of a memory a été très peu montré en France alors que le cinéma israélien contemporain est très présent sur les écrans français ces dernières années et connaît un certain succès public. Ce simple constat me pousse à m'interroger sur les différences qui existent (ou non) entre ce film et d'autres films israéliens plus connus et j'aimerais partager cette question avec d'autres spectateurs. L'une des questions que je souhaiterais par exemple poser pour lancer la discussion est celle de la différence qui peut exister entre le maillage des signes dans Description of a memory et des images plus classiques qui semblent surtout augmenter le stock de clichés des croyants afin de renforcer leur foi. Il s'agirait par exemple de discuter des impressions de chacun pour voir de quelle manière le film cherche à engendrer - et peut-être engendre - des signes qui suscitent à nouveau l'interrogation autour du conflit israélo-palestinien.

Le dispositif de Description of a memory, en tant que reprise d'un film de Marker dont les images sont devenues énigmatiques me semble inscrire l'interaction dynamique entre le film et le spectateur au sein de la structure du film. De même que les images et les sons, qui se répondent dans le film, ne peuvent le faire sans la présence active de Geva qui les constitue comme interlocuteurs les uns pour les autres, de même, le spectateur de Description of a memory est convié à mettre le film en dialogue avec son propre système d'intelligibilité. Geva emprunte à Marker le commentaire poétique des images, mais les images des deux films sont radicalement différentes. Le contraste total entre l’équilibre des images planes de Description d'un combat et les images concentriques de Geva composent, en s'ajoutant à la ressemblance troublante des deux bandes-sons, un film au sein duquel les images et les textes s'alimentent mutuellement dans un rapport qui n'est ni d'opposition, ni d'identification. Ce qui me touche dans ce film c'est que Geva me semble dialoguer avec Marker d'étranger à étranger et ouvrir par là même le dialogue aux spectateurs. Ces éléments m'incitent aussi à penser que le film pourrait faire l'objet d'une discussion collective très dynamique.

 

ARF