Néo-chamanisme.
Après avoir évoqué l'année dernière les pratiques collectives des entendeurs de voix avec REV (réseau sur l'entente de voix), et à la suite de notre dernière rencontre autour de l'institution psychiatrique et d'expérimentations pour en rendre poreuse ses frontières, nous allons nous pencher avec David Dupuis sur les implications d'une expérience de soin convoquant les univers chamaniques des régions amazoniennes du Pérou.
Là encore il sera question de frontières, entre les pratiques traditionnelles chamaniques (avec la difficulté de définir ce qu'est la "tradition" dans des mondes sociaux et écologiques ravagés par la mondialisation économique) et des formes éclectiques accusées d'appartenir aux courants disparates du New Age, visant des nouvelles économies du « développement personnel ». Mais encore, entre les formes dominantes de soin occidental qui individualisent les corps et les esprits, les ramenant à eux-mêmes (de la psychiatrie biologique aux thérapeutiques « psychodynamiques »), et de nouvelles « niches écologiques » d'où émergent des nouveaux univers relationnels, des pratiques de soin qui convoquent des êtres non-humains
« dans le vide laissé par l'absence des Dieux » (Michel Foucault, Naissance de la clinique).
On pourra dire de ces formes de soin syncrétiques qu'elles exigent une forme de conversion, celle-ci passant alors par l'initiation ad hoc qui prétend nous relier à des univers comprenant des invisibles.
Conversion, voilà le mot à bannir dans nos univers commandés par les psychothérapies laïques. Mais au fond, comme l'affirme Mikkel Borch-Jacobsen (La fabrique des folies), toute thérapeutique n'implique-t-elle pas un processus de conversion, le passage d'un monde à un autre, la reconstitution active entre le soignant et le patient d'un nouveau monde pour faire exister autrement des expériences singulières de souffrance ?
La question qu'on pourrait poser alors est la suivante : la guérison ne suppose-t-elle pas la ré-affiliation d'une personne en souffrance à de nouveaux univers de référence, exigeant des pratiques de médiation singulières et la constitution d'un nouvel éthos théorique auxquels adhèrent de nouveaux collectifs, aussi bien composés de soignants que de
« soignés » ? Ce qui nous importe dans ce cas, ce sont les rapports qui se tissent entre une multiplicité de mondes. Et on voit mal comment ces rapports pourraient s'extraire des conflits entre ces mondes.
David Dupuis est anthropologue. Il vient de soutenir une thèse, sous la direction de Philippe Descola, résultat de ses recherches sur des expériences de soin s'appuyant sur des traditions chamaniques des indiens d'Amérique du Sud. Il a séjourné longtemps au Pérou, dans un lieu de soin appelé Takiwasi où il a participé à la vie de cette communauté thérapeutique.