Pour qui travaillent les artistes?
Une introduction à la seconde édition du Printemps des Laboratoires, par Alexandra Baudelot, Dora García, Mathilde Villeneuve

La question "pour qui travaillons-nous ?" continue à se poser. Elle a déjà été, à plusieurs reprises, abordée et discutée aux Laboratoires d’Aubervilliers, polarisée sur celle des publics et des négociations qui se jouent entre auteur / institution / public, sans qu’il ne soit possible de la résoudre autrement que par l’énonciation d’une relation créée entre et par les artistes, les institutions et les publics. Nous sommes arrivées à cette réponse que les publics ne préexistent pas aux projets, mais qu’ils s’inventent en relation avec les projets. Nous travaillons donc pour et avec un public temporaire, mobilisé dans le temps restreint du travail et de la production artistique et non dans celui de la seule restitution du travail.

Mais cette question pourrait être reformulée d’une autre manière, signifiant tout à fait autre chose: qu’est-ce qui se trouve à l’origine de la demande générant le travail des artistes? De quelle façon les artistes répondent à cette demande, et avec quoi? Cette question ne peut être tributaire d’une seule réponse mais de plusieurs, ouvrant en retour sur de nouvelles interrogations: à quel endroit se situe l’artiste dans le système de production? Davantage du côté du capital ou de celui des travailleurs, dépossédés, victimes du capital? En quoi consiste le travail d’un artiste? Pourquoi l’artiste est-il aujourd’hui souvent désigné comme le modèle qui dans sa pratique incarne le mieux les formes et les usages du "travail immatériel" du capitalisme néolibérale? Et les artistes eux-mêmes, se retrouvent-ils dans cette dénomination? L’artiste est-il par nature un entrepreneur en concurrence permanente avec les autres artistes, et qui serait, en tant que tel, incapable de mener une action de groupe cohérente? Quels exemples d’actions politiques menées collectivement par des artistes peut-on observer dans l’histoire de l’art de ces dernières décennies? Et, bien sûr, l’éternelle question: jusqu’à quel point l’art peut-il être politique sans perdre son essence, sans se dissoudre dans quelque chose d’autre?

Est-ce que, en amont de toutes ces questions, de ces tentatives d’approcher des définitions et de les circonscrire tels des modèles politiques et sociaux, ne demeurent-ils pas avant tout le travail, la pratique, l’activité des artistes, qui eux jamais n’admettront de définitions a priori?

Enfin une autre question sous-tend la première (pour qui travaillons-nous?): si on doute de ce en quoi consiste l’activité et le travail des artistes, comment, alors, peut-on rêver enseigner l’art? Questionner la nature du travail artistique et la position de l’artiste en tant que travailleur c’est inéluctablement interroger la formation artistique en général et les écoles d’art en particulier. Les écoles d’art aujourd’hui se construisent pour la plupart sur un modèle d’artiste ou de travailleur de l’art certainement contestable, parce que souvent obsolète et inoffensif, et implicitement redevable aux structures qui détiennent le pouvoir politique et économique.

Nous sommes conscientes que nous ne parviendrons jamais à des conclusions pleinement satisfaisantes. Pour autant, personne ne peut nous enlever le plaisir de s’y essayer.

ARF