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"pantin, 30 / 06 / 2010
chère corinne,
pour répondre à la question de tes questions je suis allée chercher deux archives qui relatent ma rencontre avec le travail de jennifer : la plus ancienne et la plus récente.
barbara

montpellier, 16 / 12 / 2001

le cloître est chauffé par le sol / c'est donc dans les meilleures conditions que l'on peut être les pieds par terre manquent les points et les repères habituels et il est donc nécessaire de fermer le circuit de chaleur en posant un bonnet au bout du crâne / le mien / tout neuf / date d'hier la nuit on a le temps d'y être pour de bon / et avant d'émettre le moindre son / on a le privilège de l'échange avec soi dans une réflexion que l'on appellerait ailleurs solitude / les événements s'inscrivent dans un cadre qui n'a rien de carré puisqu'ici on a privilégié les finitions souples et même les coins ne forment pas d'angles il s'agît aujourd'hui de ne pas en sortir du tout / mais calmement / et calmement on tiendra le sujet avec la bonne force et d'autres réalités participeront / qui ailleurs nous tourneraient le dos rangées dans un angle à 90 degrés la nouveauté est dans l'action qui peut prendre ici la forme d'une lueur / lorsqu'un témoin nous observe et c'est les yeux fermés / dans un corps authentique / que le moment déterminé et authentique n'est plus définitif il s'agît de ne pas se perdre dans le mouvement silencieux que comporte la documentation de ces périodes-temps la qualité la plus frappante de cette proposition est d'amener à considérer le temps comme un espace et l'espace comme un enchaînement de moments nécessaires il faut ajouter qu'ici la nécessité n'étant pas nommée / mais justement pressentie / on y est accueillis comme dans un ventre.

Paf, 25 / 03 / 2010

Elle dit : en fait je le savais déjà. Et toujours le monde dehors semble déserter. Le monde est absent. Éloigné. Il rode, écoute, mange peu. Presque rien. Je ne sais pas encore ce qu'il entend. Peut-il entendre ? Choisis une pièce spacieuse pour vivre avec tout ça. Tout ce que tu dois vivre maintenant. Choisis le lieu avec une sortie. Je travaillais la nuit dans la cour, sous le saule. Cet arbre je le respirais. Je me posais en dessous et je respirais. Dans la gabardine noire, avec les cheveux attachés. Elle m'a offert cette écharpe orange, en 2004, qui va bien avec cet ensemble. C'est de la soie mais je ne la mets plus. Il fait nuit, nous marchons dans ce presque vert. Nous marchons dans une absence de couleurs. La nuit est rare, sauvée des lampions et des autoroutes. Lui, il conduit trop vite et il râle, il est insupportable au volant. Fatigant. Il parle de Mike. Elle dit qu'ils les avaient trouvés allongés au milieu de la route. Il se colle à la voiture de devant. Le camion de devant. Les mains collent au volant à cause de la chaleur. À tout moment tu peux tomber dans un roman à dix balles. Elle a des cheveux noirs, une gabardine beige, un flingue dans son sac à main parce qu'elle vient pour se venger. Il y a deux femmes dans cette histoire : une aux cheveux noirs, l'autre aux cheveux blancs. Il dit : tu veux voir ma guitare rouge ? Il marche dans les framboisiers le matin. Certains jours il m'écrit avant 6 heures. Du coup je me lève pour voir et ma journée est remontée d'une heure. Elle pense aux requins. Il dit : ce qui n'a pas empêché Mike de se familiariser avec la mer. Elle roule le long du canal dans une toute petite voiture blanche rouillée. Une Fiat 500 d'époque. Il ouvre cet étui : c'est rouge velours dedans. Je fais un geste qu'elle ne regarde pas. Elle reste assise dos à nous, au soleil. Au réveil elle est légère comme une plume. Avec un joli pull gris aube, qui est peut-être sa couleur préférée. Ce même geste, hier après-midi, m'a donné la nausée. C'est une mousse rouge qui est indispensable si tu veux la prendre avec toi : le genre de matière attachante qui trouverait sa place en Autriche, dans un théâtre d'opéra. Chez un vampire. Qui te demande d'avaler un noyau d'abricot. Tu avales en vitesse un mètre cube de cet air mis à disposition gracieusement dans ton appartement. Elle me dit qu'elle a traduit la recette du chinois vers le français, par écrit. La liste est longue et ça sent l'arrière salle d'un restaurant chinois en fin de journée. La feuille est froissée, pliée six fois, elle rentre dans la poche arrière du jean. Tu vois que ça a pris du temps de traduire, que le dictionnaire ne traduit pas ce genre de choses. Chez nous ces champignons n'existent pas. Elle met les aiguilles serrées dans un petit emballage, parce que sinon la prochaine fois ça coûtera encore 5 € de plus. 45 €. Il faut en boire deux fois par jour pendant quelques mois. Il fait très chaud et humide. Dès 8 heures tu cherches l'eau, tu cherches l'ombre. Par la transpiration le corps se défait de toute une année incompréhensible. Inacceptable, pourtant tu y étais. C'est le sosie de Ségolène Royale, elle dit : vous n'imaginez pas, ce qui vous arrive ce n'est rien du tout. Elle dit que ça finit par se refermer après un temps. Des mois ? Des années. Je ne peux pas le comprendre tous les jours. Certains jours je me repose la question toute entière et il n'y a même pas assez de place dans cet appartement pour le faire. Dans ce département. Les murs sont d'un bleu azur qui avec le temps a tourné au vert. Il peut y avoir jusqu'à 60 personnes en même temps. C'est drôle d'apprendre que cela se sait. Que ces autres que nous connaissons plus ou moins, que nous apercevons par croisements successifs, qu'eux le savaient avant nous. Comme l'explique Doc, c'est tout simple. La contradiction finit par goutter au dessus du clavier, parce que le bonheur croise d'autres sentiments. Parce que les chemins sont les mêmes. Parce que le matin on se croise alors qu'on n'est pas encore recomposés, exhumés des nuits dont nous avons parlé la veille au soir. Elle s'est endormie en chantant et le matin on l'a trouvée morte. Le répondeur était posé au sol, le soir en rentrant j'appuyais sur la touche rouge. De fatigue je m'endormais contre le chauffage. Le danseur fatigué ne pense plus à rien. Se pose dans un des 15 fauteuils. Ou par terre, sur un bout de couverture. Je goutte un tout petit peu, presque rien. Je n'en sais rien. Un truc hygiénique, une réaction physiologique. Elle dit : si je le repousse ne serait-ce que deux fois, il me fait un caca nerveux, il ne comprend pas. Je dis : on partage, 40 € chacune, si tu veux. Alors comme il ne sait pas encore faire, je l'attrape par la main, je tire, je l'encourage. Je parle fort. Il me repoussait à coup de : putain tu fais chier. On se met à construire en plein milieu d'un carrefour et après on se demande : qu'est-ce qui ne va pas ? Il m'a téléphoné, il venait de l'entendre sur France Inter, il me l'a dit et je n'ai pas réagi. Je dis : on éteint cette radio ? Elle dit qu'on met des années à s'en remettre. Il ne s'agît pas de ça. La présence charnelle est une réalité que nous portons. Que nos gestes continuent de porter. Il dit : c'est l'occasion de réhabiliter les squales. Comme une ressemblance tu vois. Comme on trimballe une odeur de friture en sortant du restaurant. Comme ton fils qui se réveille chaque matin avec les cheveux de son père. Cela ne prend pas de place, cela n'a rien à voir avec le souvenir. Moi j'oublie tout. Je suis toute tournée vers toi. Catherine était en train de me parler, on se tenait le bras avec Audrey, nous marchions ensemble vers ce rendez-vous avec toi. Ma main a trempé dans l'eau tiède. Heureusement. Pourquoi je pense à ça encore ? Je disais : pas de problème, on trouvera bien le temps. Elle dit : comment tu fais pour garder tout ça ? Je dis : de toute façon ça s'est toujours fait, ça se fait tous les jours d'écouter des chanteurs morts. Chanteur mort. Là ce matin je pense qu'ils ont voulu que je pleure encore, que ce n'était pas assez comme ça. Je me lève, je vide le lave-vaisselle avec la femme qui peint les scènes incomplètes. Qui aime le vert, visiblement. Qui marche pieds nus. Lui, il savait trouver quelqu'un qui l'aime. En le rencontrant on rencontrait la mort debout : il la tenait là, comme ça. Il fait griller deux tranches de pain de mie. Ici c'est la fête : il y a du Nutella. Plusieurs sortes de confitures, des gâteaux napolitains. Peu importe la chaleur. Mais ces appareils ont souvent le défaut de brûler un côté de la tartine. Et ça le faisait pleurer de bonheur de constater que tu pouvais rester là en face de lui sans méfiance et sans peur. Il mange dans toutes les familles, c'est toujours la même table. Elle le prend, le taquine, le câline. Nous, on finit le chocolat noir avec la confiture de cassis. À la petite cuillère. Je parle pour moi, je te le dis, je te le redis parce que ceci n'a rien à voir avec la souffrance. Parce qu'aujourd'hui l'amour me fait face de la même manière que la mort. Que cela pourrait remonter n'importe quand. En me baignant dans la Méditerranée par exemple. Nous ne sommes pas hantés mais constitués. Quand il n'y a pas d'aération prévue, la salle de bain sent le moisi. Ou alors tu ouvres les fenêtres fréquemment. Mais tu risques d'avoir du noir entre les carreaux tu vois. Je la rappelle, je dis : dans un quart d'heure je viens vers Hoche. Elle dit : est-ce que ça te ferait plaisir de récupérer un souvenir de Mano ? Je dis : oui, maintenant oui. Les livres lus côtoient les livres à venir sur la table. Si tu frottes au vinaigre blanc, ça part sans problème. Mais il faut le faire de temps à autre. Si tu t'y prends une fois par an tu te retrouves avec une salle de bain pourrie. De toute façon c'est en moi, ça ne vient de nulle part. C'est comme toi, c'est là, ça reste toujours, ça plonge avec moi dans la mer. Elle l'entend que je pleure, ça ne sert à rien de se cacher, je vais sortir. Un souvenir. Dans ma chair. Je vais sortir. Il dit : ce n'est rien, mais c'est bien. Ils appellent ça : être connectés. Sous la douche je redeviens corps. Alors je prends la place devant ton ordinateur, ce truc étrange quand même de te remplacer dans une tâche trop intime. De lui répondre. Cette histoire de chevaux au milieu de la chaussée. En fait ils ne sont pas malades, ils dépriment. Je ne le savais pas que les chevaux se couchent, des fois, pour pleurer. Tu vois comment ça cherche les pensées derrière le lavabo, le matin. Le fait d'être à leur campagne. La campagne d'un projet. 5 €, 45 €. 40 €."

ARF