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D'un contexte à l'autre
par Virginie Bobin et Mathieu Lericq

Le processus de transposition d’illegal_cinema de Belgrade à Aubervilliers a suscité un certain nombre de questions quant à la légitimité et à la spécificité d’un tel dispositif dans le contexte particulier des Laboratoires d’Aubervilliers et, plus largement, de la scène culturelle d’Île-de-France. L’idée de départ du projet est d’offrir la possibilité à toute personne intéressée de partager l’expérience d’un ou plusieurs objet(s) filmique(s) de son choix, et de proposer une discussion autour de problématiques liées. Une seule contrainte : on ne peut montrer ses propres films, afin d’éviter l’autopromotion. Comme il n’y a ni commissaire ni programmateur/trice, un coordinateur a été embauché pour assurer la mise en œuvre du projet, recevoir les propositions et préparer les séances hebdomadaires (gratuites) avec les «présentateurs/trices».

Le terme « illégal », notamment, a été très débattu lors de la préparation du projet : dans quelle mesure ses connotations « pirate » et activiste gardaient-elles leur sens dans un environnement où quasiment tous les films peuvent être obtenus par des moyens légaux ? Et dans une institution publique soumise au respect de la législation sur la diffusion et sur les droits d’auteurs ? En outre, était-il pertinent d’ajouter un nouveau programme de projections – même de films «rares ou difficilement accessibles» – si près de Paris, dite capitale du Cinéma, et dans un département (la Seine-Saint-Denis) où abondent salles labellisées art-et-essai, associations de diffusion du cinéma expérimental, festivals de films documentaires, espaces dédiés à l’art vidéo et autres initiatives publiques ou privées ? Autant de questions qui ont continué à alimenter les débats autour du projet depuis les premières séances du lundi soir, en mai 2010.

Avec illegal_cinema, il s’agit non pas tant toutefois de rareté d’un objet projeté que de construire la possibilité pour une discussion critique d’émerger au sein du public. Prendre le parti de conserver le titre inchangé était donc à la fois un moyen de reconnaître la qualité conceptuelle du projet initié par Marta Popivoda dans son entité et de revendiquer l’expropriation du discours de l’expert. Dépasser l’autorité du/de la spécialiste pour produire une parole collective autonome autour de films et, au-delà, autour de problèmes sociaux et politiques. La diversité des personnes venues proposer des films et initier des discussions autour de problématiques liées à leur choix a permis la constitution progressive d’un public varié à mesure des séances. Les débats qui émergent d’un tel dispositif ‒ incluant et subsumant tout type d’objet filmique, comme discuté par Marta Popivoda et Corinne Bopp dans l’interview ci-dessus ‒ dépassent les frontières habituelles entre les formats et leurs publics respectifs, qu’ils soient spectateurs/trices de cinéma, publics de l’art ou amateurs/trices de documentaires.

Illegal_cinema a donc ouvert un nouvel espace de réflexion et de partage dans la scène culturelle d’Île-de-France, libéré à la fois des querelles de spécialistes et d’une forme de dépendance au spectacle qui va de pair avec la quête de rareté. Par sa spécificité, le projet ne se pose donc nullement en compétiteur d’initiatives préexistantes et éminemment respectables telles que Khiasma ou Le Peuple qui Manque ‒ qui sont de fidèles interlocuteurs depuis le début. Après les premiers mois d’expérimentation, illegal_cinema s’est avéré suffisamment viable, voire même indispensable pour être poursuivi en 2011. Le débat reste ouvert, tous les lundis à 20h. Soyez les bienvenu/e/s.


Virginie Bobin est coordinatrice des projets aux Laboratoires d’Aubervilliers et Mathieu Lericq est coordinateur d’illegal_cinema

Article publié dans le journal des Laboratoires janvier-avril 2011

ARF