• résidence 2016-2017
  • Luttes politiques
  • Clandestinité

 

                                     Cela suppose que la politique est, en premier
                                     sens, de l’ordre de la pensée et non de
                                     l’ordre
des « réalités objectives », de la
                                     réalité
objective des contradictions, dont
                                     l’État est le
produit paradigmatique. La
                                     pensée n’est donc
pas pensée d’un objet, elle 
                                     relève d’une
subjectivation, mais elle n’est
                                     pas pour autant
sans assignation ni
                                     exactitude. On le dira sous
la forme : la
                                     pensée est rapport du réel.

                                     «Rapport du réel» et non «rapport au réel»,
                                     cette entorse à la grammaire sert à bien
                                     marquer que la pensée ne prend pas le réel
                                     comme objet. La formule non objectivante
                                     «rapport du réel» suppose que cette pensée
                                     n’est pas appréhendable ni dans les
                                     catégories du vrai ou du faux, ni dans un
                                     rapport du subjectif à l’objectif. Ainsi, les
                                     gens pensent donne un premier sens à
                                     l’énoncé : « la politique est de l’ordre de la
                                     pensée ».

                                    Peut-on penser la politique en intériorité ? 
                                    Sylvain Lazarus - L’Intelligence de la Politique.


A une époque où le triomphalisme capitaliste a prétendument vaincu toutes les utopies pour un changement politique humain, Paloma Polo a porté son attention aux connaissances léguées par les luttes progressistes malgré le silence, la soumission et l'oppression qu'elles ont eu à combattre. Fouiller dans les épisodes passées ou sonder des conflits en cours, les efforts de Paloma Polo travaillent à se mettre face à notre contemporanéité.

Pour son projet aux Laboratoires d'Aubervilliers, Paloma Polo a engagé une enquête sans précédent dans une dimension de l'histoire remarquable des luttes politiques qui ont façonné la périphérie Nord de Paris. Loin de se livrer à un détour nostalgique, elle débusque et révèle les récits éclipsés et dissimulés, les dialogues et configurations sociales à la lumière de la réalité actuelle d'Aubervilliers, ville française qui accueille le plus important pourcentage de migrants, selon des chiffres qui ne tiennent d'ailleurs pas compte des personnes n'ayant pas de papiers.

Aubervilliers, Saint-Denis et, de manière plus générale, la Banlieue Rouge aux abords de Paris a abrité des milliers d'exilés politiques espagnols depuis la guerre civile et plus particulièrement durant toute la période du franquisme. Des centaines d'entre eux ont vécu une existence fantomatique, beaucoup sous de fausses identités, et certains de manière complètement clandestine, luttant dans l'ombre pour la mise en place en Espagne d'un mouvement qui puisse renverser de manière démocratique le système répressif et violent du franquisme.
Ce mouvement souterrain, orchestré depuis la périphérie de Paris par le Parti Communiste Espagnol, a laissé peu de traces matérielles. Plus important encore, il est également et aujourd'hui à peine traçable dans une histoire nationale espagnole écrite par effacement systématique des exploits qui ont ouverts la voie à ce qui a, malheureusement, glissé vers une «ouverture démocratique» trompeuse, à la suite de la dictature.

Paloma Polo plonge dans une mémoire en sommeil, ayant principalement survécue grâce à la transmission orale de militants qui ont presque entièrement disparus. Et ce n'est d'ailleurs pas arbitraire qu'il n'y ait pas de réflexion critique complète, de compilation ou recueils de cette période historique décisive. Seules quelques autobiographies attestent de ces épisodes.

Aujourd'hui, notre organisation politique est différente et pourtant il existe une corrélation inquiétante avec cette époque antérieure : l'Europe traverse une importante crise convulsive émaillée par une recrudescence du fascisme, ancrée dans un tissu social dévasté, et faisant face aux millions de migrants et d'exilés qui, fuyant la guerre, l'oppression et l'exploitation, affluent vers l'Europe pour tomber dans la violence et la discrimination d'États brutaux. Cependant, les temps présents en Occident sont marqués par une différence très significative : nous manquons d'horizons ou de projets politiques concrets et nous ne semblons pas en mesure de penser la politique en termes nouveaux.

Le parlementarisme, approuvé par des pans importants de l'opinion populaire, a déclaré sa violence. Il fait la guerre, il est la guerre selon les mots de Sylvain Lazarus. Au milieu de ces circonvolutions, seuls quelques-uns avancent, bien qu'avec hésitation, pour trouver les nouveaux mots - pour continuer à se référer à Sylvain Lazarus - nécessaires à la compréhension de notre époque.

Le mouvement politique espagnol pendant le franquisme, comme beaucoup d'autres à l'époque, a été propulsé vers l'avant par un projet socio-politique, des idées et des valeurs cristallisées dans la discipline clandestine des processus d'organisation et des petites communautés manifestement plus consolidées au sein des organisations de base espagnoles.

A côté de ces réseaux de solidarité, ces collectifs étaient-ils en mesure de doter les individus d'une autre compréhension des caractéristiques essentielles des relations humaines ?
Si nous convenons de l'idée que la politique est rare et précaire, y avait-il là une aptitude à créer les lieux de la politique, de la pensée indépendante ?
Est-il possible de sauver quelque chose de cette lutte pour nous aider à raviver les relations sociales et nous équiper pour faire face à la situation contemporaine ?
Comment pouvons-nous penser et parler de ce qui n'a pas été pensé, ni parlé au-delà de groupes mineurs, aujourd'hui inaccessibles et coupés d'un passé canonisé ?

En ponctuant son enquête, avec les mots de Sylvain Lazarus, qui affirme que nous devons assumer la tâche d'établir tout à fait les nouveaux termes attendus des résultats et méthodes de pensée et de connaissance si le dialogue se fait entre les gens, Paloma Polo, en collaboration avec son partenaire de recherche, l'historien de l'art et curateur Oscar Fernandez, s'attachera à reconstituer les récits de cette histoire enfouie.

Pour cela, seront réalisés des dialogues avec des personnalités importantes de l'histoire de ces combats politiques, tout comme seront mis en place des ateliers de rencontres-discussions permettant d'inclure la diversité des collaborateurs et de ces personnes impliquées et concernées. Enfin, ce projet aboutira à l'écriture d'un script pour un film, dont les étapes préparatoires incluront des performances dans l'espace public et au sein des Laboratoires d'Aubervilliers.



 

ARF