- Résidence 2015
Au cours de ses 9 mois de résidence aux Laboratoires d’Aubervilliers, Katinka Bock a développé un travail autour du don et du contre-don, inscrivant ses recherches sur le territoire arpenté. Zarba Lonsa (verlan de Bazar Salon) est le fruit de ce projet développé dans le contexte très spécifique du quartier des Quatre-Chemins à Aubervilliers. Une exposition, qui mêle au travail plastique les échanges avec les commerçants, invite spectateurs et habitants à faire l’expérience d’une pérégrination poétique pour devenir à leur tour le protagoniste de récits construits autour du don.
Concevant la production d’une œuvre en rapport à l’environnement dans lequel elle intervient, Katinka Bock est notamment attentive au fait qu’un lieu d’art génère des usages et des expériences « extra-ordinaires ». Elle s’emploie à rendre perceptible ce qui fait la particularité de ces lieux en les inscrivant dans une relation immédiate avec leur contexte extérieur. Elle s’attache pour cela à saisir d’infimes éléments, à se laisser prendre par des détails habituellement peu perceptibles et à partir desquels l’œuvre se construit révélant ainsi certains aspects caractéristiques de l’identité de ces lieux, des caractéristiques à la fois architecturales, urbaines, sociales, climatiques, temporelles et spatiales.
L’oeuvre n’est jamais une finalité dans le travail de Katinka Bock mais un véhicule qui nous amène à faire l’expérience du temps et de l’espace, à ébaucher des fictions dont nous sommes d’une certaine manière les protagonistes discrets, parfois malgré nous. La relation qu’elle induit par ses interventions est toujours légère, non intrusive. Ainsi chacun - que ce soit le spectateur avisé qui se déplace pour voir le travail de l’artiste, celui qui tombe par hasard sur l’une de ses pièces disséminées dans l’espace public, ou encore les personnes travaillant dans le lieu d’exposition - se sent déplacé intimement, poétiquement, dans son rapport au lieu qu’il entretient d’ordinaire.
De ses premières pérégrinations autour des Laboratoires d’Aubervilliers, entamées début février 2015 dans le quartier des Quatre-Chemins, l’artiste a été particulièrement frappée par la densité des commerces déployés autour du carrefour et de ses rues adjacentes. Des vitrines, derrière lesquelles est visible un ensemble hétéroclite de produits, viandes au détail, robes de mariés, machines à coudre, pâtisseries colorées, bazars de vêtements, articles de téléphonie mobile, etc., mais également des devantures fantomatiques paraissant depuis longtemps tombées dans l’oubli. Cette diversité de commerces, le flux incessant des habitants et des passants, qui achètent, s’arrêtent et discutent, a conduit Katinka Bock à vouloir activer un processus d’échange d’objets avec les commerçants. Ceci afin de questionner la valeur, le sens et le statut de l’échange d’objets, et notamment de l’objet d’art. L’œuvre devient ici l’objet d’une relation construite librement, hors de l’institution artistique et de ses règles. Plusieurs commerçants se sont ainsi prêtés au jeu d’échanger un objet de leur commerce contre une des sculptures de Katinka Bock, sorte de pain de terre cuite, fabriqué spécifiquement pour le projet.
L’échange ainsi fait, la sculpture prend place au milieu des étagères, parmi les rayons de vêtements, dans le fatras des bazars, des salons de coiffure ou des étalages des boucheries. Elle interpelle par son incongruité dans ces lieux, devenant objet de bizarrerie, d’interrogations, de conversations.
A l’origine de ce projet il y a donc l’échange, le don et contre-don, le désir aussi de créer un mode de circulation, un parcours d’œuvres dans des vitrines et des lieux directement situés sur la rue. Il y a surtout l’envie que cet échange soit le résultat d’une rencontre et d’un dialogue les commerçants, point de départ du processus de l’exposition. Ce simple geste, d’échanger une œuvre contre une marchandise, constitue en amont le récit d’une expérience qu’elle souhaite partager, le désir d’inviter l’autre à participer à une expérience artistique à partir de laquelle les protagonistes - l’artiste, les commerçants, les clients des magasins et un public élargi - travaillent à la construction d’un récit commun. A l’instar de l’ensemble de son travail, le récit, minimal, est entièrement contenu dans les micro-déplacements que Katinka Bock provoque, dans le dialogue qu’elle crée avec l’autre, laissant par la suite toute liberté d’interprétation et d’appropriation.
Les sculptures en terre cuite, essaimées dans l’espace des Laboratoires d’Aubervilliers lors de l’exposition, font suite à cette première phase d’échange. Chacune de ces sculptures, contenants des objets donnés par les commerçants, renferment donc les objet offerts, certains ayant définitivement brûlé une fois celles-ci passées dans le four du céramiste. Ces nouvelles sculptures de formats très variables sont également devenues les «protagonistes» d’un film réalisé en Super 8, manipulées par des personnes que la caméra ne saisie que partiellement et dans une sorte de corps à corps entre l’anatomie de la sculpture et celle du manipulant. Des anatomies en constante transformation, suivant le jeu des possibles interactions entre formes, orientations, contenant, contenu et manipulant. Sculptures, mouvements et corps résonnent ici de concert comme pour mieux révéler la porosité existant entre espace intérieur et extérieur.
Un cercle en bronze suspendu est comme en lévitation dans l’un des espaces des Laboratoires. Figure fragile et silencieuse, cette sculpture semble donner la mesure de l’espace et définir les contours d’une géographie à la fois contenue en elle-même et ouverte au dehors. Fine ligne circulaire réalisée à partir de branches d’arbres ramassées cet hiver dans les rues d’Aubervilliers, elle marque ainsi une jonction entre l’espace public d’Aubervilliers et celui, privé, des Laboratoires, au croisement des différentes expériences géographiques que Zarba Lonsa suscite.
Deux lectures publiques portées par Katinka Bock et Clara Schulmann (historienne de l’art et auteure du texte commandé par l’artiste) viendront ponctuer l’exposition et une édition limitée sera offerte au public tout au long de l’exposition.
Alexandra Baudelot
L'exposition Zarba Lonsa sera visible aux Laboratoires d'Aubervilliers du 15 octobre au 19 décembre 2015, du mardi au vendredi de 11h à 18h et le samedi de 13h à 18h. Elle sera ponctuée de deux lectures publiques le jeudi 15 octobre à 19h30 et le samedi 12 décembre 2015.
Le projet et l’exposition Zarba Lonsa de Katinka Bock ont été produits par Les Laboratoires d’Aubervilliers avec le soutien du Département de la Seine-Saint-Denis et de la Direction régionale des affaires culturelles d'Ile-de-France - Ministère de la Culture et de la Communication.