"En collectionnant, observant, étudiant, en essayant de créer une multiplicité de façons de rire, en orchestrant, en chorégraphiant cette pluralité de techniques ensemble. En prenant le temps et la patience d’abord de faire un zoom dans le rire, un close-up, un portrait macrophotographique même, en le cartographiant, en notant sa partition musicale, en faisant une liste de ses ingrédients comme si c’était une recette de cuisine, en le traitant comme un jeu avec des règles, en le disséquant aux pincettes, le regardant à la loupe, en regardant son univers avec un observatoire, à l’infrarouge et avec haute résolution, en observant toutes ses cellules de près, ses composantes chimiques, son anatomie, ses atomes…" Antonia Baehr
L’atelier initié avec Antonia Baehr et Valérie Castan en juin 2007, première étape des recherches d’Antonia Baehr sur le rire, a réuni pendant une semaine une vingtaine d’Albertivillariens aux Laboratoires.
Le but de cet atelier était, dans un premier temps, d’apprendre à rire selon différentes méthodes, puis d’expérimenter cet apprentissage par l’échange et le partage de pratiques de fabrication du rire, échange démultiplié par la diversité des membres du groupe et la mobilité de leurs fonctions dans cet atelier – alternativement professeurs, élèves, chorégraphes, et rieurs.
À travers diverses expériences, le rire allait ainsi sérieusement être observé, dévisagé, examiné, rédigé, analysé, copié, provoqué, exécuté, déchiffré, décomposé, hybridé et sans cesse refabriqué.
Les trois premiers jours ont été confiés à trois «professionnels» du rire, chacun dirigeant un atelier auquel prirent part l’ensemble des participants ainsi que Valérie Castan et Antonia Baehr elles-mêmes: Bakary et Chantal Diakhité (professeurs de laughing yoga), Barbara Manzetti (danseuse et chorégraphe) et Claude Bokhobza (metteur en scène et comédien) ont de ce fait soumis des méthodologies différentes de prise de conscience progressive de la fonction de rire et de sa mécanique physiologique.
Ces trois techniciens/praticiens du rire ont proposé de travailler sur le rire comme réflexe physique, sa corporalité et sa sonorité, son expression et sa communication, en s’abstenant de recourir à des causes à contenu sémantique (construction d’histoires ou de gags).
Exclusivement induites par l’exercice des saccades du souffle, des contractions du thorax, d’une détente générale propice, les multiples expressions de ce réflexe positif ont été apprivoisées et scrutées sur les corps et les visages, dans une approche la moins narrative possible.
L’étape suivante de l’atelier, proposée par Antonia Baehr et Valérie Castan, a eu pour objectif d’écrire et d’interpréter des partitions (ou «recettes») de rire, avec une rigueur minutieuse à laquelle se substituait souvent un rire communicatif incontrôlé. Le «banc des témoins», espace d’observation, permettait d’inviter des spectateurs à assister ponctuellement à l’atelier, avec la possibilité de noter quelques commentaires et descriptions des activités:
Se pencher en arrière puis en avant.
Sourire et laisser sortir de l’air pressé des poumons,
tenter de garder la bouche fermée, contracter l’abdomen.
Marcher par petits pas en avant et en arrière, le corps qui se penche.
Se tenir la bouche (...)
Parallèlement, Pauline Curnier-Jardin, en tant que «Docteur Rire», recevait un à un dans son cabinet les participants pour les filmer dans l’exercice solitaire du rire – celui dont l’action individuelle exclut les supports ou inspirations de complicités – afin d’exposer chaque signe pantomimique, gestuelle et grimace à la caméra.